En Afrique, les émissions liées aux déchets augmentent malgré les efforts des acteurs

[juin 2023] La croissance démographique en Afrique avec l'urbanisation rapide pose des défis dans plusieurs secteurs notamment celui des déchets. Les politiques en place pour une gestion durable des déchets ont un impact insuffisant face à la hausse de la production de déchets et aux émissions de gaz à effet de serre qui en découlent.

Note d’analyse de l’Observatoire de l’action climat en Afrique

  • Auteurs : Mélaine Assè-Wassa Sama, Chargé de projet Action climat en Afrique, Victor Bérenger, Senior Energy & Climate Policy Analyst, Enerdata
  • Date : Juin 2023
  • Sommaire :
    • La gestion des déchets, un défi présent et futur malgré un cadre réglementaire fort
    • En Afrique, les déchets pèsent plus lourd dans le bilan carbone du continent que dans le reste du monde
    • Les initiatives portées par les acteurs locaux contribuent à une meilleure gestion des déchets en Afrique

La croissance démographique en Afrique combinée à une urbanisation rapide pose des défis dans plusieurs secteurs notamment celui des déchets. Si des politiques existent pour encadrer le secteur et garantir une gestion durable des déchets, leur impact reste insuffisant. La production des déchets est en constante augmentation sur le continent qui doit aussi faire face aux émissions de gaz à effet de serre qui en découlent.

La gestion des déchets, un défi présent et futur malgré un cadre réglementaire fort

Depuis plusieurs années, la production des déchets sur le continent africain est en constante augmentation, notamment sous l’effet de la croissance démographique et de l’urbanisation galopante. Combinée à l’élargissement de la classe moyenne, l’évolution des habitudes de consommation entraîne une augmentation de la production de déchets. En 2016, par exemple, l’Afrique subsaharienne a produit 174 millions de tonnes (Mt) de Déchets Solides Ménagers (ci après DSM). Si entre 70 à 80 % de ces déchets générés sont recyclables, seulement 4 % sont effectivement recyclés. Selon les estimations de l’African Clean Cities Platform, la production de déchets atteindra 244 Mt en 2025. Cela représente donc un défi immense pour le continent malgré l’existence de politiques de gestion de déchets soutenues par une réglementation internationale.

Partout sur le continent, des politiques et stratégies sont déployées. L’Agenda 2063 de l’Union Africaine, cadre stratégique de transformation socio-économique et politique du continent africain, prévoit une transformation du secteur des déchets, avec des objectifs chiffrés. Selon cette stratégie élaborée en 2013, les pays africains devront recycler au moins 50 % des déchets urbains qu’ils génèrent d’ici 2023. À une échelle sous régionale, la politique environnementale élaborée en 2008 par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) comprend des axes stratégiques relatifs à la gestion des déchets. L’axe 3 vise, d’une part, à lutter contre les pollutions et nuisances, les déchets urbains et les flux de produits dangereux et, d’autre part, à améliorer les politiques d’urbanisation et de gestion urbaine en tenant compte des aspects environnementaux. La CEDEAO a aussi développé deux projets de stratégie : une stratégie relative à la gestion des produits chimiques et des déchets dangereux (2015) et une autre stratégie relative à la gestion des déchets plastiques (2016).

Ces différentes stratégies et politiques (régionales et sous-régionales) sont complétées par des plans d’action et des politiques nationales élaborées par les différents États. Elles sont aussi renforcées par ensemble d’engagements internationaux pris par les États africains à travers les Accords Multilatéraux pour l’Environnement (AME). C’est le cas de la Convention de Bâle de 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination dont de nombreux États africains sont devenus parties. C’est aussi le cas de la Convention de Stockholm sur les Polluants Organiques Persistants de 2001 et de la Convention de Minamata sur le Mercure de 2013. À ces conventions internationales s’ajoute la Convention régionale de Bamako de 1991 sur l’Interdiction d’importation en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets dangereux produits en Afrique. Par ailleurs, les États africains participent actuellement aux négociations devant aboutir à l’adoption d’un traité mondial contre la pollution plastique.

Malgré l’existence de ces politiques, les engagements peinent à se traduire en gestion améliorée des déchets. De nombreux pays africains manquent d’infrastructures adéquates pour la collecte, le traitement et l’élimination des déchets. La sensibilisation du public à la gestion des déchets est souvent limitée, ce qui entrave les efforts de réduction, de recyclage et de réutilisation des déchets. Les décharges sauvages sont courantes en Afrique où sont localisées 19 des 50 plus grandes décharges du monde, avec leur cortège de problèmes environnementaux, sanitaires et sociaux. Avec la croissance de l’industrie électronique et des flux illégaux de déchets qui en découlent, la gestion des déchets électroniques complexifie un peu plus les pratiques de traitement et d’élimination. Cet ensemble de facteurs explique en partie l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée au secteur des déchets.

En Afrique, les déchets pèsent plus lourd le bilan carbone du continent que dans le reste du monde

Sur la période 2000-2021, les émissions de gaz à effet de serre liées aux déchets en Afrique ont augmenté presque deux fois plus rapidement que l’ensemble des émissions (hors Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et de la forêts UTCATF)[1], comptant désormais pour environ 8 % du total. Constituées majoritairement de méthane (95%), ces émissions sont principalement liées au traitement et au rejet des eaux usées (65 % en 2021), et, dans une moindre mesure, à l’élimination des déchets solides (35 %). Le poids de cette source dans le total des émissions du secteur est néanmoins croissant, avec une progression de 5 points de pourcentage entre 2000 et 2021 (figure 1).

Le secteur des déchets représente environ 8 % des émissions de gaz à effet de serre du continent africain (2021), contre 2 % pour les États-Unis, 3 % pour la Chine et 5 % pour la France. Néanmoins, en valeur absolue, les émissions de l’Afrique liées aux déchets sont inférieures de plus d’un tiers (36 %) à celles de la Chine. Sur la période 2000-2021, ces émissions ont augmenté de 3 %/an, soit un taux de croissance deux fois plus élevé que la hausse des émissions totales (figure 2).

Les principaux pays responsables des émissions du secteur des déchets en Afrique sont le Nigeria (15 %), suivi par l’Afrique du Sud (8 %), l’Algérie (7 %), l’Égypte (7 %), le Maroc (7 %) et, enfin, l’Éthiopie (6 %) et la RDC (6 %). Pour environ une douzaine de pays africains, les émissions du secteur de déchets comptent pour plus de 10 % des émissions totales, dont Djibouti (21 %), le Maroc (19 %), les Comores (16 %), la RD Congo (14 %), le Rwanda (14 %) et la Gambie (13 %).

Les émissions du secteur des déchets en Afrique sont principalement composées de méthane (95 %) et dans une moindre mesure de protoxyde d’azote (5 %). La part de dioxyde de carbone est inférieure à 1 %. En effet, les émissions causées par l’incinération des déchets à l’air libre demeurent marginales (<1 %) en comparaison des émissions liées au traitement et au rejet des eaux usées (65 % en 2021, contre 70 % en 2000) et à l’élimination des déchets solides (35 %, contre 30 % en 2000). Entre 2000 et 2021, la part des émissions liées à l’élimination des déchets solides a progressé de 5 points de pourcentage.

En effet, les eaux usées et leurs composantes boueuses peuvent produire du méthane si elles se dégradent de façon anaérobie. Le volume ainsi produit dépend principalement de la quantité de matières biodégradables dans les eaux usées, de la température et du système d’épuration. Le taux de production du méthane augmente avec la hausse de la température, notamment dans les systèmes non réglementés et dans les climats chauds. Concernant l’élimination des déchets solides, les émissions de méthane proviennent de la dégradation de matières organiques dans des conditions anaérobies.

Au Maroc, les émissions de gaz à effet de serre du secteur des déchets ont augmenté d’environ 2,6 %/an sur la période 2000-2021, contre 2,9 %/an pour les émissions totales. Ces émissions liées au secteur des déchets sont principalement constituées de méthane (97 %) et dans une moindre mesure de protoxyde d’azote (3 %). Comptant pour 20% des émissions totales, elles proviennent en 2021 à 75% de l’élimination des déchets solides (contre 69 % en 2000) et pour un quart du traitement et du rejet des eaux usées (contre 31 % en 2000). Entre 2000 et 2021, les émissions de gaz à effet de serre engendrées par le secteur des déchets en RD Congo ont crû au rythme de 4 %/an, contre 2,5 %/an pour les émissions totales, tirée par la hausse des émissions causées par l’élimination des déchets solides (+6,2 %/an). Comme pour le Maroc, les émissions de ce secteur sont très majoritairement composées de méthane (97 %). En revanche, leurs sources diffèrent : en RDC, comme généralement dans le reste de l’Afrique, elles proviennent principalement du traitement et du rejet des eaux usées (69 % en 2021, contre 80 % en 2000), suivies de l’élimination des déchets solides (31 % en 2021, contre 20 % en 2000). Le poids des émissions causées par l’élimination des déchets solides dans le total des émissions du secteur a néanmoins augmenté de 11 points de pourcentage entre 2000 et 2021.

Les initiatives portées par les acteurs locaux contribuent à une meilleure gestion des déchets en Afrique

L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée au secteur des déchets s’explique par un certain déficit d’infrastructures, de compétences et de financement. Dans certains pays à faible revenu, la gestion des déchets absorbe jusqu’à 20 % des budgets des municipalités. Les gouvernements locaux manquent souvent de fonds, « ne couvrant que moins de 50 % des coûts d’investissement pour les systèmes de gestion des déchets ». Pour s’en sortir, les acteurs publics misent souvent sur les acteurs locaux ou s’associent à des partenaires privés afin de gérer les déchets de manière écologiquement rationnelle. 

Ces formes de partenariat incluent souvent collectivités, entreprises locales et étrangères, associations et citoyens. En Afrique, les partenariats public-privé, bien qu’utilisés, donnent des résultats mitigés du fait des difficultés financières et politiques rencontrées. En 2017 par exemple, la ville de Casablanca (Maroc) et Sita, la filiale de Suez en charge du service de traitement des déchets urbains, mettent fin au contrat qui les lie avant la date prévue. Si la ville a pointé du doigt le rapport qualité prix désavantageux de la prestation, l’entreprise Suez a quant à elle déploré «le manque de rentabilité de l’activité, estimant ses pertes à 12 millions d’euros en trois ans ». Une situation similaire a été observée à Libreville au Gabon, où le groupe Averda Gabon (filiale d’Averda Holding) a déposé une requête d’arbitrage contre les autorités gabonaises à la Chambre de commerce et de l’industrie (CCI) pour une dette estimée à 35 millions d’euros. Le fonctionnement des partenariats en Afrique reste mitigé du fait des complications financières, institutionnelles et politiques qui surviennent.

À une autre échelle, des initiatives portées par des associations locales et internationales contribuent également à l’amélioration des systèmes de gestion des déchets en Afrique. Au Cameroun la coopérative EcoClean Environnement, à travers son programme de pré-collecte et de valorisation des déchets dans la ville de Yaoundé, récolte plus de 19,1 tonnes de déchets (représentant 2 % des déchets produits mensuellement par la ville) qu’elle trie, valorise et dépose au niveau des points d’apport volontaire de la Communauté Urbaine (PAV) pour une élimination définitive. Cette initiative contribue à la réduction des émissions des gaz à effet de serre, tel que le méthane produit par les décharges sauvages rencontrées au Cameroun.

Au Sénégal, l’Association Zéro Déchet fédère et valorise dans son initiative Mon Restaurant Zéro Déchet les restaurants sénégalais qui s’engagent pour la réduction des déchets grâce à 3 labels (Zéro bouteille plastique, Zéro paille jetable, Zéro capsule de café). Grâce à cette initiative, 37 restaurants ont été labellisés au Sénégal. L’initiative permet d’éviter l’utilisation de 28 702 bouteilles plastiques par an, de même que 81 094 pailles jetables évitées par an. Ces initiatives bénéficient parfois de financements extérieurs. C’est le cas du projet SWITCH AFRICA GREEN (SAG) réalisé par l’ONG Women Environmental Programme Burkina (WEP BF). Financée par l’Union européenne et menée entre janvier 2016 et juin 2018, cette initiative a permis de faire évoluer les modes de gestion des déchets de production d’une centaine d’entreprises au Burkina Faso en ayant recours à la symbiose industrielle.

NOTES

[1] Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et de la forêts (UTCATF)

Bibliographie