Article paru dans AfriVe – L’essor des énergies renouvelables en Afrique : enjeux et perspectives pour les populations locales
[juillet 2024] Mélaine Assè-Wassa SAMA, chargé de projet de l’action climat en Afrique, apporte un éclairage sur les enjeux des énergies renouvelables en Afrique, les opportunités et les défis pour les populations locales, les barrières à l'accès universel à l'énergie, et les perspectives de cette révolution.
- Auteur : Mélaine Assè-Wassa SAMA, chargé de projet de l’action climat en Afrique
- Date : Juillet 2024 (article paru dans le N°3 du magazine AfriVe)
Quels sont les avantages et défis que les populations locales rencontrent avec le développement des énergies renouvelables en Afrique ?
Il convient d’abord de rappeler que le continent africain a l’un des taux d’accès à l’énergie les plus bas au monde. 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité, et en Afrique de l’Ouest seulement 8% de la population rurale y a accès. Le déploiement des énergies renouvelables en Afrique contribue à réduire ce retard. Les mini-réseaux décentralisées (off-grids) par exemple permettent de désenclaver les zones rurales en offrant aux habitants de ces zones la capacité de produire de manière autonome leur électricité. Les énergies renouvelables contribuent aussi à créer de l’emploi, à stimuler le développement local et à améliorer les conditions de vie des populations. Dans le secteur de l’éducation par exemple, l’électricité permet aux apprenants d’accéder à l’e-éducation et plus globalement au monde du digital et d’accéder à des nombreuses informations. Sur le plan médical, l’énergie produite permet d’assurer le fonctionnement continu des dispensaires et des pharmacies qui peuvent stocker plus longtemps des médicaments. En Sierra Leone, le projet PRESSD-SL, financé par l’Union Européenne et mis en œuvre par Oxfam a permis d’électrifier les écoles, les centres médicaux, les hôpitaux et d’accroitre l’accès à l’électricité à 850 000 personnes grâce aux systèmes d’énergies renouvelables. Dans le secteur agricole, les rendements sont meilleurs grâce à l’utilisation de pompes à eau pour l’irrigation des sols. Certains produits agricoles et périssables peuvent être conservées plus longtemps comme c’est le cas au Sénégal avec le projet Cryosolar de Valorem, une chambre froide solaire autonome conçue pour répondre aux enjeux de conservation en zones isolées.
Quelles sont les principales barrières à l’accès universel à l’énergie en Afrique ? Comment les énergies renouvelables peuvent-elles contribuer à surmonter ces obstacles ?
De mon point de vue, il en existe 3 principales : des barrières financières, des barrières politiques et des barrières technologiques. S’agissant des barrières financières, pour garantir un accès universel à l’énergie en Afrique, des investissements sont indispensables. Malheureusement, les investissements nécessaires pour répondre aux besoins du continent africain en énergie sont nettement supérieurs aux fonds disponibles. Selon un récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie, l’Afrique ne capte que 2 à 3 % des investissements mondiaux dans le secteur de l’énergie. Il est clair que dans ce contexte, il est difficile de développer des infrastructures de réseau adaptées à la demande croissante. Les barrières sont aussi technologiques : dans le sens où du fait des investissements limités, les infrastructures de réseaux sont inadaptées et vétustes dans certains pays africains. Ce qui a pour conséquence de limiter la qualité et la portée de l’approvisionnement en électricité avec des pertes et des coupures régulières. Enfin, les barrières sont aussi de nature politique. Certaines politiques gouvernementales mises en place en Afrique ont contribué à créer un climat défavorable à l’investissement privé notamment dans le secteur de l’énergie et à rendre l’accès à l’électricité très coûteux et donc hors de portée d’une grande partie des populations.
En quoi le développement des énergies renouvelables représente-t-il une opportunité importante pour le continent africain ?
Il s’agit d’une opportunité unique au regard du potentiel de l’Afrique dans ce domaine. D’abord, l’Afrique possède 40 % du potentiel mondial de production d’énergies renouvelables. Le continent possède par exemple 60 % des ressources solaires mondiales et son potentiel de production éolien est estimé à 978 066 TWh/an. Ensuite, nous sommes à l’aube d’une transition énergétique cruciale sur laquelle le continent africain peut s’appuyer pour amorcer enfin son développement tout en abandonnant les énergies fossiles. S’agissant des retombées du développement des énergies renouvelables en Afrique, il en existe plusieurs.
Sur le plan environnemental, il est important de préciser que le secteur de l’énergie a une part non négligeable dans les émissions de CO2 de l’Afrique. Le déploiement des énergies renouvelables dans le mix énergétique proposé par la majorité des pays africains dans leurs CDN contribuera à réduire les émissions de CO2 du continent, avec l’abandon progressif des énergies fossiles (même si actuellement, cette tendance est nettement freinée par le choix de certains pays africains de lancer de nouveaux projets d’exploitation de gisements de pétrole). Le recours aux énergies renouvelables permet également de préserver, réduire la déforestation en partie causée par la production du bois de chauffe ou du charbon, l’une des principales sources d’énergie pour la cuisson en Afrique subsaharienne.
Par ailleurs, il est clair qu’il n’y a pas de développement économique sans énergie. Ceci est d’autant plus vrai que ces derniers mois ont été marqués par des vagues de coupures d’électricité sur le continent qui ont largement impacté les activités économiques, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Selon un rapport de la Fondation Mo Ibrahim, les pénuries d’électricité coûtent à l’Afrique environ 2 à 4 % de son produit intérieur brut. Ce qui est énorme. Le déploiement progressif des énergies renouvelables sur le continent concourt à réduire ce déficit et donc à offrir une stabilité énergétique aux opérateurs économiques. Une énergie fiable est nécessaire pour développer une industrie agroalimentaire par exemple. La création d’emplois est également une retombée socioéconomique du déploiement des énergies renouvelables sur le continent africain. De nouveaux emplois dits « verts » émergent dans le domaine des renouvelables. L’IRENA estime d’ailleurs que le secteur des énergies renouvelables représentera à lui seul 45 millions d’emplois dans le monde en 2050. Plusieurs projets recensés sur le continent s’inscrivent dans cette dynamique. En Tanzanie, le centre de formation Barefoot College Zanzibar forme des femmes venant de villages ruraux d’Afrique de l’Est, à devenir des ingénieures solaires affectueusement appelées « solar mamas ».
Enfin, sur le plan social, comme mentionné plus haut, les énergies renouvelables contribuent à l’amélioration des conditions de vie des populations avec un meilleur accès aux services de base tels que les soins de santé, l’eau potable, l’électricité à un coût abordable et une meilleure éducation pour les enfants. Il convient de mettre un accent particulier sur les femmes et les filles, premières victimes du manque d’accès aux sources d’énergie modernes. Ce sont elles qui assurent les tâches domestiques souvent chronophages (eau potable, bois de chauffe ou charbon). L’accès aux énergies renouvelables réduit le temps dédié aux travaux domestiques, offre aux filles plus de temps pour étudier, permet aux femmes de se former et de s’autonomiser grâce à des activités génératrices de revenus. Le projet Égalité des Chances et Accès à l’Énergie en Casamance (ÉGALES) a permis par exemple l’augmentation des revenus et le renforcement de capacités de 330 femmes en zone rurale ainsi que le développement d’activités sur 7 périmètres maraichers. Ce qui garantit aujourd’hui la sécurité alimentaire pour 10 000 personnes.
Pourriez-vous nous donner plus de détails sur l’initiative des mini-réseaux solaires décentralisés au Mali ? Quels ont été les résultats concrets de ce projet en termes d’accès à une énergie propre et durable ?
Au Mali, 83 % de la population est confrontée à un déficit énergétique. Récemment, le Mali n’a pas été épargné par les vagues de coupures d’électricité observées en Afrique de l’Ouest. C’est pour réduire ce déficit qu’un projet d’installation de mini-réseaux solaires au Mali a été déployé. Il a été financé à hauteur de 9 millions d’euros par le mécanisme IRENA/ADFD Project Facility. Concrètement, il s’agit de réseaux électriques à petite échelle alimentés par l’énergie solaire grâce à des panneaux photovoltaïques. L’électricité produite alimente des pompes à eau qui permettent aux populations de répondre aux besoins quotidiens en eau. En termes de résultats, ce projet a permis à 123 000 personnes d’avoir un accès à l’électricité et à l’eau. Il permet aussi d’éviter l’émission de 5 000 tCO2/an, tout en garantissant aux personnes situées en zones rurales un meilleur accès à l’énergie et à l’eau. Le projet a généré plus de 2 000 opportunités d’emplois directs ou indirects notamment dans la transformation des produits agricoles. Cela a également réduit le temps dédié aux corvées domestiques des femmes, ce qui leur a permis de se consacrer à leurs activités et de générer plus de revenus. Pour plus de détails, consulter le cas d’étude Mali • Accéder à une énergie « propre » grâce aux mini-réseaux solaires décentralisés publié par l’Observatoire Climate Chance.
À votre avis, quelles sont les tendances futures en matière d’énergies renouvelables en Afrique ? Quels seront les principaux défis et opportunités pour assurer un développement durable dans le secteur ?
Il est difficile d’identifier de manière précise les tendances futures, parce que cela bouge dans tous les secteurs, que ce soit dans l’éolien, dans le solaire ou dans l’hydroélectrique. La principale certitude, c’est que les capacités totales en énergies renouvelables s’accroissent sur le continent, mais à un rythme encore insuffisant. Entre 2022 et 2023, l’Afrique est passée de 59 398 MW à 62 107 MW selon le récent rapport de l’IRENA. Cela principalement grâce à l’éolien, le solaire et l’hydroélectricité. Plusieurs pays se détachent du lot. Dans le secteur de l’éolien par exemple, l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Maroc restent en tête en concentrant à eux seuls 7190 MW sur les 8654 MW que compte le continent. Une tendance à suivre de près c’est l’hydrogène vert, avec l’African Green Hydrogen Alliance lancée en 2022. Plusieurs pays africains (Namibie, Égypte, Afrique du Sud) s’y intéressent de plus en plus. Les défis restent les mêmes : financiers, politiques et humains. Le défi financier demeure la principale difficulté dans le secteur.
Le développement des énergies renouvelables en Afrique est encore freiné par plusieurs défis. On l’a déjà dit précédemment, le continent ne capte que 2 à 3 % des investissements mondiaux dans le secteur de l’énergie, ce qui est faible et ne permet pas le développement rapide d’infrastructures en énergies renouvelables. Au niveau national, à l’exception de quelques pays, les dotations budgétaires allouées aux énergies renouvelables sont très insuffisantes. On peut ajouter à cela le coût relativement élevé de certaines énergies renouvelables, encore peu accessibles aux populations vulnérables sans subventions des États ou sans un partenariat avec des investisseurs privés.
Sur le plan politique, certains pays ne disposent encore de politiques clairement définies sur les énergies renouvelables. Il est important de mettre en place des mécanismes visant à créer un environnement favorable aux investissements privés. Les États à eux seuls ne peuvent pas réunir les fonds nécessaires. Des mécanismes incitatifs afin d’attirer les producteurs indépendants d’énergie, par exemple, sont nécessaires. Les contrats d’achat d’énergies renouvelables sont un moyen de nouer des partenariats avec le secteur privé (voir la tendance Énergie • L’Afrique poursuit son développement des énergies renouvelables, malgré quelques obstacles publiée par l’Observatoire Climate Chance).
Enfin, sans une expertise suffisante et qualifiée, le développement des énergies renouvelables sur le continent sera limité. Il faut davantage investir dans la recherche et particulièrement dans les programmes de recherche et de formation sur les énergies renouvelables. Il existe déjà plusieurs initiatives telles que le projet DALILA (Développement de nouveaux cursus universitaires sur les énergies durables et l’économie verte en Afrique) qui a pour objectif d’améliorer les compétences des jeunes générations en matière d’énergie renouvelable et d’économie verte en Tanzanie et en Ouganda.