Renforcer la convergence climat-biodiversité-sols dans une année de « triple COP »

Avec les COP des trois conventions de Rio, la fin de l'année 2024 marquera le point médian de plusieurs objectifs à long et moyen terme fixés pour 2030. Ce sera donc un moment crucial pour faire le point sur les progrès accomplis et maximiser les synergies entre les agendas du climat, de la biodiversité et de la désertification.

Note d’analyse de l’Observatoire mondial de l’action climat

Auteur : Tania Martha Thomas, coordinatrice de l’Observatoire

Date : octobre 2024

Sommaire :

  • COP16 biodiversité : opérationnaliser le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal
  • COP29 climat : la « COP de la finance »
  • COP16 désertification : la plus grande mobilisation sur le sujet à date
  • La convergence climat-biodiversité-sols : les écosystèmes au cœur de l’action

À mi-parcours de la « Décennie de l’action » visant à atteindre les objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030, les mois à venir, marqués par une succession rapide de réunions internationales de haut niveau, seront cruciaux pour définir et renforcer la réponse mondiale aux crises planétaires. L’année 2024 verra se succéder trois COP (conférences des parties) des trois conventions de Rio qui remontent au sommet de la Terre de 1992 : la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la convention sur la diversité biologique (CDB) et la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD). Dans chacune de ces conventions, le milieu de la décennie est un moment crucial pour l’action. Ce sera également le moment pour toutes les parties prenantes d’aligner leurs objectifs, leurs plans et leurs actions sur les trois agendas.

Ces réunions arrivent à un moment critique, où les conflits géopolitiques et les tensions liées au commerce mondial s’ajoutent aux préoccupations des pays, parallèlement à des événements climatiques plus intenses. Cette année se distingue également par le fait qu’elle aura été « l’année des élections », celles-ci se déroulant dans des pays abritant près de la moitié de la population mondiale[1]. Les trois COP auront lieu dans la foulée de l’adoption du Pacte pour l’avenir par l’Assemblée générale des Nations unies, les pays s’engageant à mener 56 actions visant à faire progresser le développement durable et corriger la trajectoire actuelle des ODD. Le Pacte aborde aussi les questions interdépendantes de l’action climatique, de la paix et de la sécurité, de la coopération numérique, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la jeunesse et des générations futures[2]. Le pacte réaffirme l’engagement des pays à abandonner les combustibles fossiles, même si le niveau d’ambition reste inchangé[3].

COP16 biodiversité : opérationnaliser le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal

La seizième conférence des parties à la CDB se tiendra du 21 octobre au 1er novembre à Cali, en Colombie. La priorité sera de traduire en actions concrètes les engagements du cadre mondial pour la biodiversité (CMB) de Kunming-Montréal, adopté lors de la COP15 en 2022. Il s’agit notamment d’aider les pays à faire en sorte que leurs stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité (SPANB) soient conformes aux 23 objectifs du CMB, dont l’objectif 30×30 : conserver 30 % des terres et des mers de la planète d’ici à 2030, grâce à la création de zones protégées ou à d’autres mesures de conservation basées sur les zones[4].

Parmi les priorités, soulignées notamment par la société civile ou les organismes de recherche[5],[6],[7],[8],[9] :

  • Augmenter le niveau d’ambition des engagements et s’assurer qu’ils sont suivis d’une mise en œuvre et, le cas échéant, d’une législation.
  • Garantir des systèmes solides de suivi et de redevabilité pour les objectifs du CMB
  • Intégrer les questions de biodiversité dans tous les secteurs, en particulier l’alimentation, l’énergie, les droits de l’homme et le développement
  • Financer la réalisation des objectifs du CMB (le déficit de financement étant estimé à 700 milliards de dollars par an)[10], qui, comme dans le cas du climat, apparaît comme le facteur clé qui déterminera le succès de la mise en œuvre. Plus précisément, les questions urgentes comprennent l’alignement des flux financiers sur les objectifs, l’élargissement de l’accès au financement pour la nature, en particulier dans les pays en développement, et pour les peuples autochtones et les communautés locales – que ce soit par le biais de modèles alternatifs tels que la bioéconomie, ou par des instruments nouveaux tels que les crédits biodiversité.

En ce qui concerne la présidence colombienne de la COP, le thème choisi pour cette édition est « La paix avec la nature », la ministre de l’environnement du pays, Susana Muhamad, ayant déclaré que les résultats de cette COP pourraient contribuer aux efforts de paix en « responsabilisant et en mobilisant les communautés locales dans les régions où se déroule la lutte armée, en particulier pour faire face aux économies illicites »[11]. Cette déclaration s’inscrit dans le contexte d’une importante déforestation à la suite de l’accord de paix conclu en 2016 par le pays avec le groupe rebelle des FARC, qui a conduit d’anciens combattants à se tourner vers l’agriculture non réglementée, aux côtés d’autres groupes rebelles qui rejettent l’accord de paix et continuent de se battre. Selon Global Witness, la Colombie a enregistré le plus grand nombre cumulé d’assassinats de défenseurs de l’environnement depuis 2012[12].

COP29 climat : la « COP de la finance »

La plus suivie des trois, la COP climat, se tenant cette année à Bakou, en Azerbaïdjan, a été surnommée « la COP de la finance », car les pays devront fixer un nouvel objectif collectif quantifié (NCQG) pour les flux financiers liés au climat. Ces négociations, qui portent à la fois sur la quantité, la forme et les sources de financement, permettront d’apaiser les tensions de plus en plus vives entre les pays développés et les pays en développement sur la question  « qui paiera pour la réduction des émissions, l’adaptation et les pertes et dommages ? ». Les négociations sur plusieurs autres questions ont été bloquées antérieurement par des problèmes de financement, et l’objectif précédent de 100 milliards de dollars par an en 2020 n’a été atteint qu’en 2022, selon les chiffres de l’OCDE[13].

Alors que la question du financement est au premier plan, les négociations se poursuivront sur d’autres sujets, car les pays préparent la prochaine série de leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), plus précisément les CDN 3.0, qui doivent être soumises avant la COP30 en 2025 et couvriront la période allant jusqu’à 2035. Ces documents auront donc un rôle important à jouer pour faire le lien entre les politiques actuelles et les politiques à moyen terme, et seront alimentés par les résultats du premier bilan mondial dans le cadre de l’Accord de Paris, qui s’est achevé en 2023. La mise en œuvre des CDN plus solide dépendra du suivi des actions et la transparence, une priorité déclarée de la présidence azerbaïdjanaise[14]. Les pays devraient également soumettre leurs premiers rapports biennaux de transparence d’ici la fin de l’année.

Parmi les autres thèmes prioritaires des négociations en cours :

  • L’atténuation et la transition énergétique, et le suivi des objectifs de la COP28 visant à tripler les capacités renouvelables et à doubler le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique en 2030. La transition vers l’abandon des combustibles fossiles, une victoire durement acquise et dont on a beaucoup parlé à Dubaï, a brillé par son absence dans les priorités de la présidence azerbaïdjanaise[15].
  • Les négociations sur l’article 6 de l’Accord de Paris, poursuivies depuis les deux dernières COP, qui détermineront comment les marchés du carbone et la coopération internationale autour des crédits peuvent être rendus opérationnels
  • L’opérationnalisation du cadre des EAU (UAE Framework) pour l’objectif mondial d’adaptation, qui vise à mettre l’adaptation sur un pied d’égalité avec l’atténuation [16]
  • Elaborer les détails du financement des pertes et dommages, à la suite des progrès réalisés l’année dernière pour mettre en place et faire fonctionner le Fonds pour les pertes et dommages[17].

COP16 désertification : la plus grande mobilisation sur le sujet à date

Après l’adoption du cadre stratégique 2018-2030, l’établissement d’un niveau de référence pour la dégradation des terres en 2018, suivi d’évaluations basées sur des données de la perte et de la restauration des terres pour la première fois en 2023, l’UNCCD continue de travailler à la réalisation de ses objectifs stratégiques, notamment l’amélioration de l’état des écosystèmes touchés, la lutte contre la désertification/dégradation des terres, la promotion de la gestion durable des terres et la contribution à la neutralité en matière de dégradation des terres[18]. Les autres priorités de la CCD, relativement moins connue, dans ce nouveau cadre, sont l’amélioration des conditions de vie des populations touchées, le renforcement de la résistance à la sécheresse, la génération d’avantages environnementaux mondiaux à partir de la mise en œuvre de la convention et la mobilisation de ressources financières et non financières pour la mise en œuvre.

La précédente COP de l’UNCCD, en 2022 à Abidjan, Côte d’Ivoire, a fait avancer les négociations entre les Parties sur la sécheresse, le genre, les tempêtes de sable et de poussière, les migrations induites par la dégradation des terres, et pour la première fois, le régime foncier. La COP de 2024, qui devrait être la plus importante jamais organisée par les signataires de la CCD, sera accueillie par l’Arabie saoudite à Riyad et visera à « mobiliser les gouvernements, les entreprises et les communautés du monde entier pour accélérer l’action en faveur de la restauration des terres et de la résilience à la sécheresse en tant que pierre angulaire de la sécurité alimentaire, de l’eau et de l’énergie »[19]. Elle sera également marquée par l’examen à mi-parcours de la mise en œuvre du cadre stratégique, dans le but de formuler des recommandations en vue des objectifs de 2030. Parmi les priorités de cette COP figure également le passage d’évaluations et d’actions volontaires par les pays à des évaluations et actions plus harmonisées au niveau mondial, afin d’atteindre l’objectif de la COP15 de restaurer 1,5 milliard d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030[20].

La convergence climat-biodiversité-sols : Les écosystèmes au cœur de l’action

Le concept « One Health » est une itération de la convergence entre les trois conventions de Rio et leurs objectifs, et les objectifs de développement durable, qui a pris une importance particulière avec l’apparition de la pandémie de Covid-19[21]. Dans une tribune publiée par le Forum économique mondial en septembre 2024, Astrid Schomaker, Ibrahim Thiaw et Simon Stiell, les secrétaires exécutifs respectifs des conventions sur la biodiversité, la désertification et le changement climatique, ont souligné l’interdépendance des objectifs des trois conventions[22]. La restauration des écosystèmes, les systèmes agroalimentaires et les énergies renouvelables sont présentés comme des domaines permettant de faire progresser les trois agendas, tout en appelant à une plus grande cohérence des politiques et des financements aux niveaux national et infranational.

En effet, les écosystèmes sont au cœur des solutions aux crises interdépendantes, et leur protection et leur restauration contribueront à la réalisation des objectifs des trois conventions. Le rapport du groupe de travail II du GIEC sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité affirme que les Solutions fondées sur la Nature (SfN) pour l’adaptation au changement climatique réduiront les risques et les vulnérabilités des personnes et de la nature et contribueront à la résilience, tout en restant réalisables et efficaces[23]. Par exemple, la restauration des zones humides peut protéger la biodiversité tout en réduisant les risques d’inondation, ou la végétalisation urbaine peut réintroduire des ceintures vertes dans les villes tout en réduisant les risques d’inondation et les risques liés à la chaleur. L’application des SfN peut ainsi contribuer à la réalisation de l’objectif mondial d’adaptation sous l’Accord de Paris, de l’objectif 8 du CMB liés à la résilience climatique, et même des ODD. Une mise en œuvre commune sur le terrain contribuera au suivi commun d’indicateurs sous les différentes conventions[24].

De même, la connectivité écologique peut également répondre aux priorités des trois conventions de Rio – en protégeant et en conservant les zones de biodiversité et la faune qui s’y trouve, en les rendant plus résistantes au changement climatique, en restaurant les terres dégradées et même en contribuant à l’atténuation par le biais de la séquestration dans le cas de plus grandes étendues de forêts[25].

S’il existe de nombreuses synergies, il existe également des compromis dans le cas de certaines actions qui, tout en étant bénéfiques sur un plan, peuvent être préjudiciables sur un autre (par exemple, des parcs solaires ou éoliens à grande échelle mal planifiés peuvent affecter la biodiversité dans la région). Pour éviter ces compromis, il faut également planifier de manière intégrée les actions relatives au climat, à la biodiversité et aux sols, et ce dès le stade du financement[26].

Références

[1] John, M. & Sen, S. (09/07/2024). How this year of elections is set to reshape global politics. Reuters.

[2] United Nations (2024). Pact for the Future, Global Digital Compact, and Declaration on Future Generations. Summit of the Future outcome documents.

[3] Frost, R. (23/09/2024). Major new UN pact reaffirms global commitment to transition away from fossil fuels. Euro News.

[4] Convention on Biological Diversity (2022). DECISION ADOPTED BY THE CONFERENCE OF THE PARTIES TO THE CONVENTION ON BIOLOGICAL DIVERSITY. CBD/COP/DEC/15/4.

[5] Landry, J. & Hallosserie, A. (13/06/2024). Préparer le terrain pour la COP16 : un moment crucial pour le « Plan Biodiversité ». [billlet de Blog]. IDDRI.

[6] Ghannem, J. (19/04/2024). The countdown to biodiversity COP16 in Cali has begun. [blog]. GEF.

[7] WWF (11/09/2024). WWF outlines its expectations for COP16.

[8] The Nature Conservancy (18/09/2024). COP16: What’s at stake for the 2024 UN Biodiversity Conference.

[9] Sköld, M. et al. (22/05/2024). Three top priorities for biodiversity ahead of COP16. SEI.

[10] Convention on Biological Diversity (2022); op. cit.

[11] AFP. (23/09/2024). At COP16, Colombia seeks to lead by example on biodiversity. France24.

[12] Robson, M., Garate, J. & Thomson, A. (22/05/2024). Biodiversity and forest defenders – the stakes of COP16. Global Witness.

[13] OECD (29/05/2024). Climate Finance Provided and Mobilised by Developed Countries in 2013-2022. OECD.

[14] COP29 (n.d.). In Solidarity for a Green World. Accessed 01/10/2024.

[15] Bryan, K. (17/09/2024). COP29 host skips over fossil fuels to waste methane and energy storage. Financial Times.

[16] Thomas, T. M. (12/2023). Les progrès de l’Objectif mondial d’adaptation : Le chemin long et difficile vers un cadre flou. Climate Chance.

[17] Raya, T. Z. (15/08/2024). Progress of the Operationalisation of the Loss and Damage Fund: Key Takeaways from the Board Proceedings and What Lies Ahead. International Centre for Climate Change and Development.

[18] UNCCD (n.d.). UNCCD 2018-2030 Strategic Framework. Accessed 01/10/2024.

[19] UNCCD (21/01/2024). Saudi Arabia to host largest-ever UN conference on land and drought. [Press release]. UNCCD.

[20] Bompan, E. (02/08/2024). COP16 Desertification, interview with Alain-Richard Donwahi. Materia Rinnovabile.

[21] Cuvillard, O. & Gillod, A. (2022). Corridors de biodiversité : le renforcement de la connectivité écologique pour adapter les écosystèmes au changement climatique. Climate Chance.

[22] Schomaker, A., Thiaw, I. & Stiell, S. (23/09/2024). In this triple COP year, leaders must align efforts to ensure planetary health. World Economic Forum.

[23] Pörtner, H.-O. et al. (2022). Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press.

[24] Griswold, D. et al (2022). Nature-based Solutions and the Global Goal on Adaptation. FEBA Issue brief for UNFCCC COP27. Friends of Ecosystem-based Adaptation.

[25] Cuvillard, O. & Gillod, A. (2022), op. cit.

[26] Finance for Biodiversity Foundation (10/2023). Unlocking the biodiversity-climate nexus. A practitioner’s guide for financial institutions.