COP28 : qu’attendre du premier Bilan mondial de l’Accord de Paris ?

[avril 2023] La COP28 marquera les huit ans de la signature de l’Accord de Paris. Les Parties signataires devront passer en revue et évaluer les « progrès collectifs » accomplis dans la réalisation de l’accord et de ses buts à long-terme, lors du tout premier Bilan mondial (Global Stocktake). Que faut-il en attendre ?

Note de l’Observatoire mondial de l’action climat

  • Auteur : Antoine Gillod, Directeur de l’Observatoire mondial de l’action climat
  • Date : Avril 2023
  • Sommaire
    • Un objectif : évaluer les « progrès collectifs »
    • Un processus de deux ans pour construire une vision commune
    • Les résultats attendus
    • Le rôle les acteurs non-étatiques
    • L’œil de l’Observatoire : Basculer de l’ère de l’engagement à celle de l’impact
Figure 1 Le cycle de l’ambition de l’accord de Paris. Source : World Resources Institute

UN OBJECTIF : EVALUER LES « PROGRES COLLECTIFS »

Les objectifs du Bilan mondial ont été définis dans l’article 14 de l’Accord de Paris : la COP doit faire « périodiquement le bilan de la mise en œuvre du présent Accord afin d’évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’objet du présent Accord et de ses buts à long terme ».

Le terme « progrès collectifs » est central : il ne s’agit en aucun cas d’un exercice de « name-and-shame », de classement ou d’attribution de score aux États pris individuellement, en fonction des progrès réalisés. Les décisions prises à Katowice lors de la COP24 sont encore plus explicites à cet égard : le Bilan mondial « ne devrait pas viser telle ou telle Partie et devrait comprendre un examen non prescriptif des progrès collectifs ».

Cette démarche est cohérente avec l’esprit des négociations de la COP21, qui ont rendu possible l’adhésion des 193 États de la CCNUCC à l’Accord de Paris. Plutôt qu’une approche « top-down » qui fixe un objectif universel et alloue des objectifs particuliers (comme dans le Protocole de Kyoto), l’Accord de Paris a mis en place un système « bottom-up » de type « pledge-and-review » : chaque Partie fixe librement son niveau d’ambition, et le cadre collectif est chargé d’encourager chacun à mettre en œuvre ses engagements et rehausser son ambition régulièrement.

L’article 14.3 est très clair à ce propos : les résultats du Bilan mondial cherchent à « [éclairer] les Parties dans l’actualisation et le renforcement de leurs mesures et de leur appui selon des modalités déterminées au niveau national ».

Aucune forme de sanction n’est donc à attendre à l’encontre des États qui n’auraient pas respecté leurs engagements : l’observance des engagements n’est pas ici le sujet. Aucune recommandation prescriptive ne devrait non plus être formulée à l’issue de la COP28. La diplomatie onusienne cherche avant tout à trouver le plus petit dénominateur commun à tous les États pour encourager l’action : ce sont donc les Parties qui ont la charge de tirer les conséquences de ce bilan mondial.

Ainsi, ce premier Bilan mondial est un moment charnière du cycle de l’ambition. Il s’insère dans un calendrier précis et régulier mis en place par l’Accord de Paris visant à organiser le renouvellement et le renforcement de l’ambition des contributions déterminées au niveau national (CDN). Prévu tous les cinq ans à partir de 2023, le Bilan mondial est intercalé au sein d’un cycle de communications et de renouvellements de l’ambition (figure 1). Il complète le « cadre de transparence renforcé » prévu à l’article 13 de l’Accord de Paris, qui oblige les États à communiquer dans leurs rapports biannuels un certain nombre d’informations nécessaires au suivi des mesures mises en œuvre et des progrès réalisés en matière d’atténuation du changement climatique, de mesures d’adaptation et de soutien fourni ou reçu.

Les conclusions de ce premier Bilan mondial seront probablement sans surprise : les engagements des États ne sont pas à la hauteur des objectifs de l’Accord de Paris, comme l’a déjà évalué l’UNEP, et les Parties seront encouragées à renforcer leur ambition et d’augmenter l’échelle de leur action.

UN PROCESSUS DE DEUX ANS POUR CONSTRUIRE UNE VISION COMMUNE

Avant le rendez-vous final de la COP28, le Bilan mondial a suivi un processus de deux ans, organisé en trois « composantes » – ou « phases » (figure 2). Les règles et principes de ce processus ont été fixées dans le « manuel d’application » (rulebook) de l’Accord de Paris, adopté en grande partie lors de la COP24 à Katowice (décision 19/CMA.1) :

  • La collecte de l’information et la préparation
    • Période : de la COP26 à la conférence de Bonn en juin 2023
    • Objectifs : rassembler, compiler et synthétiser les informations nécessaires à la préparation de la phase d’évaluation technique.
    • Sources d’information : des rapports du secrétariat de la CCNUCC, les rapports du GIEC, les communications volontaires des Parties, mais aussi les communications des acteurs « Observateurs » comme les ONG, les entreprises, les réseaux de collectivités…
  • L’évaluation technique
    • Période : de la conférence de Bonn en juin 2022 à la conférence de Bonn en juin 2023
    • Objectifs : « évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’objet et des buts à long terme de l’Accord ». Trois dialogues techniques sont organisés entre 2022 et 2023 afin de créer des espaces de discussions entre les Parties et observateurs.
    • Livrables attendus : des rapports de synthèse
  • L’examen des résultats
    • Période : de la conférence de Bonn en juin 2023 à la COP28 en décembre 2023
    • Objectifs : étudier les conséquences des conclusions de l’évaluation technique afin d’éclairer les Parties sur les progrès réalisés et les encourager à renforcer leur ambition via leurs CDN ainsi que la coopération internationale. Cette ambition n’est pas limitée à la réduction des émissions, mais concerne aussi l’adaptation, les moyens de mise en œuvre et l’équité.
    • Livrables attendus : une décision et/ ou une déclaration politique signée par les Parties
Figure 2 Calendrier du Bilan mondial. Source : figure élaborée par Climate Chance

Le Bilan mondial va faciliter l’évaluation des progrès des Parties sur trois piliers de la lutte contre les changements climatiques :

  • L’atténuation
  • L’adaptation
  • Les moyens de mise en œuvre et d’appui, et l’équité (ce qui inclut les questions financières et la transition juste).

Les travaux accorderont une attention particulières aux actions favorables qui permettent de parer aux conséquences économiques et sociales du changement climatique (« mesures de risposte »), ainsi qu’à la couverture des effets néfastes du changement climatique sur les systèmes humains et naturels (« pertes et préjudices »).

Lors de la COP27 à Charm el-Sheikh, les organes subsidiaires ont prévu de nouvelles consultations des Parties et non-Parties sur le volet « résultats ». Deux réunions organisées en avril et en octobre viendront jalonner l’année pour mobiliser les acteurs autour du Bilan mondial.

LES RESULTATS ATTENDUS

On sait encore peu de choses sur la forme finale des résultats du Bilan mondial tels qu’ils seront présentés lors de la COP28. Des décisions votées par les Parties lors de la COP28 seront adoptées, et une déclaration politique pourra également ressortir de ce processus. Les décisions de Katowice précisent que les Parties seront invitées « à présenter leurs contributions déterminées au niveau national, selon les résultats du bilan mondial, lors d’une manifestation spéciale qui sera organisée sous les auspices du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ».

Entre temps interviendra un Sommet de l’Ambition Climatique, en septembre 2023, organisé à l’initiative d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, afin de pousser pour plus d’action tangible et crédible de la part des plus gros pays émetteurs.

ET LES ACTEURS NON-ETATIQUES ?

L’organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA) et l’organe subsidiaire de mise en œuvre (SBI), SBSTA et le SBI encouragent les entités non-parties à organiser des manifestations en vue de nourrir le Bilan mondial. ICLEI, un réseau international de villes engagées pour le développement durable, incite par exemple ses membres à se saisir du moment pour organiser des « local stocktakes », autrement dit des bilans locaux de la mise en œuvre de l’action climat.

Mais, au-delà des contributions des acteurs non-étatiques au processus onusien – centré sur les États donc, – commence à poindre le souci d’évaluer les progrès des entreprises, des gouvernements locaux et des organisations de la société civile engagées. En effet, depuis le rapport 1,5 °C du GIEC en 2018, la « vague net zéro » a engagé de très nombreuses entreprises, villes, régions et institutions publiques ou privées à s’aligner sur une trajectoire de décarbonation cohérente avec l’objectif de limitation du réchauffement sous le seuil de 1,5 °C au-dessus du niveau préindustriel. La campagne onusienne Race to Zero recense à ce jour plus de 11 300 acteurs, donc 8 307 entreprises, ayant fixé un objectif de neutralité carbone à travers le monde.

Devant cet élan, Antonio Guterres a convoqué en mars 2022 un Groupe d’experts de haut-niveau sur les engagements de zéro émission nette des entités non-étatiques, qui a rendu son rapport lors de la COP27 formulant des recommandations pour promouvoir une meilleure intégrité des engagements net zéro des entreprises. En Europe (directive CSR sur la responsabilité sociale des entreprises…) et aux États-Unis (projet de la Securities and Exchange Commission), de nouvelles règles obligatoires sont débattues pour renforcer les normes de reporting ESG des entreprises. Ces normes réglementaires sont discutées en parallèle de normes volontaires, développées par l’International Sustainability Standards Board (normes IFRS) et le Global Sustainability Standards Board (normes GRI). Nous écrirons bientôt un article à ce propos sur le Blog de l’Observatoire.

Le Climate Data Steering Committee (CDSC), lancé en juin 2022 à l’initiative d’Emmanuel Macron et de Michael Bloomberg, a formulé durant la COP27 ses recommandations pour la création d’un Net Zero Data Public Utility (NZDPU), un dépôt centralisé des données liées à la transition climatique. Des publications comme Global Climate Action 2022 ou State of Climate Action 2022 s’essayent à évaluer les progrès des acteurs non-étatiques au regard de leur ambition ou des scénarios de transition future. Des bases de données comme le System Change Lab ou Climate TRACE ambitionnent de cartographier des indicateurs sur les émissions des acteurs ou les voies de transition industrielles.

L’ŒIL DE L’OBSERVATOIRE : BASCULER DE L’ERE DE L’ENGAGEMENT A CELLE DE L’IMPACT

Pour limiter le réchauffement climatique en dessous du seuil de 1,5 °C, une baisse annuelle des émissions équivalente à celle provoquée en 2020 par la pandémie de Covid-19 est nécessaire jusqu’en 2030, d’après le Global Carbon Budget. Or, les émissions mondiales n’ont jamais été aussi élevées qu’en 2022. Les conclusions du dernier rapport de synthèse du GIEC, et l’émoi suscité par la nomination du PDG de l’entreprise pétrolière nationale des EAU à la présidence de la COP28 indiquent le besoin de changer de paradigme dans la mobilisation des acteurs.

Trop souvent, les engagements des acteurs non-étatiques – quand ils existent – ne sont pas à la hauteur des trajectoires de décarbonation attendues, et manquent de plans de transition crédibles et opérationnels. Des 18 600 entreprises qui ont divulgué leurs données dans la catégorie climat au CDP, seules 0,4 % ont présenté un plan jugé aligné sur une trajectoire 1,5 °C avec des objectifs exigeants.

Climate Chance et la World Benchmarking Alliance ont exprimé une position commune lors de la consultation organisée sur le volet « Examen des résultats » en février 2023, afin d’encourager l’intégration des acteurs non-étatiques à basculer de l’ère de l’engagement et de la transparence à celle de la performance. Elle se résume en cinq points :

  1. Les Parties devraient améliorer la communication et le suivi des données sur l’action climatique des acteurs non-étatiques dans le cadre du Bilan mondial
  2. Les Parties doivent passer d’une logique d’engagement avec les acteurs non-étatiques à une logique de responsabilité/redevabilité conjointe
  3. Les Parties devraient s’efforcer d’aligner les actions et les plans de transition des acteurs non étatiques sur les stratégies de décarbonation sectorielles et nationales
  4. Les Parties doivent créer un environnement politique et réglementaire propice pour favoriser l’alignement des activités des acteurs non étatiques sur l’Accord de Paris
  5. L’équité, la transition juste et la nature devraient être au cœur du Bilan mondial avec des conseils pour soutenir la mise en œuvre des acteurs non étatiques.

Ce dernier point est également défendu, dans sa propre contribution à la consultation, par plusieurs groupes majeurs d’acteurs non-étatiques représentant au sein de la CCNUCC les associations environnementales (ENGO), de jeunesse (YOUNGO), de femmes (WGC) et les syndicats (TUNGO). Ceux-ci plaident pour que les Parties s’intéressent, dans une perspective de transition juste et de protection des droits humains, à l’impact sur les populations des politiques et actions climatiques mises en œuvre.

Par conséquent, il nous paraît nécessaire d’engager, à l’occasion de ce premier Global Stocktake, une évaluation des cadres de reporting et d’évaluation des politiques publiques existants, afin d’inciter les Parties à rehausser leur responsabilité et celles des acteurs non-étatiques à l’égard de leurs plans de transition et de leurs impacts réels sur le climat dans un esprit de justice sociale.