Entretien IEGA : Quel bilan des session intermédiaires de Bonn vers la COP 29 ?
[juillet 2024] Entretien réalisé par Gabriel Lagrange, responsable du département Géopolitique du changement climatique de l'Institut d'études de géopolitique appliquée, avec Tania Martha Thomas, chargée de recherche à Climate Chance.
- Entretien réalisé par Gabriel Lagrange, responsable du département Géopolitique du changement climatique de l’Institut d’études de géopolitique appliquée, avec Tania Martha Thomas, chargée de recherche à Climate Chance.
- Date : Juillet 2024 (entretien paru sur le site de l’IEGA ici)
- Citer cette publication : Tania Martha Thomas, Quel bilan des sessions intermédiaires de Bonn vers la COP 29 ?(entretien avec Gabriel Lagrange), Institut d’études de géopolitique appliquée, Paris, 15 juillet 2024.
Si les COP font partie du paysage international, elles ne sont pas les seules séquences où les acteurs internationaux négocient sur la lutte contre le changement climatique. Ils se retrouvent chaque année à Bonn pour des séances de mi-parcours permettant d’évaluer les discussions et d’établir une feuille de route des efforts restant à accomplir avant la COP suivante. Après une COP 28 ayant permis l’adoption de décisions politiques dont leur contenu et application posent encore question, les rencontres de Bonn de juin 2024 visaient à apporter des indications sur l’ensemble de l’agenda climatique, notamment de financement, au centre des discussions à la COP 29. Cet entretien permet de comprendre le rôle des négociations de mi-parcours et vise à dresser le bilan de l’édition 2024.
Gabriel LAGRANGE – La COP 28 a suscité des réactions diverses, entre l’approbation pour ses progrès en matière d’énergie/financement et critiques, notamment dirigées contre son hôte, les Émirats arabes unis (EAU). Quelle est votre analyse de la COP28 ?
Tania Martha THOMAS – L’attention accordée à la présidence des EAU soulève des questions fondamentales concernant les véritables pouvoirs de cette fonction. Elle ne se limite pas à influencer l’ambiance et le contexte des négociations, mais elle exerce également une influence sur un ordre du jour parallèle, distinct de celui officiel de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il est essentiel de faire la distinction entre ces deux ordres du jour tout en analysant comment l’un peut influencer l’autre. Malgré l’importance de ces rôles, il convient de noter qu’au cours de la COP 28, l’un des principaux sujets de débat a été la question de l’abandon des combustibles fossiles, suscitant des débats animés et des moments de vives tensions. Lors des rencontres intermédiaires de Bonn qui se sont déroulées en juin dernier, la question de la transition énergétique semblait cependant reléguée au second plan, avec une position ambiguë dans l’ordre du jour.
En ce qui concerne la présidence elle-même, elle a été à l’origine de nombreuses initiatives, qui se distinguent des annonces officielles de négociation. Ces initiatives reflètent une volonté de maintenir la continuité des actions en amont et en aval des COP, afin d’assurer la pérennité de l’héritage de leur présidence. Sur le plan des résultats de la COP, le Bilan mondial[1] a constitué un moment clé en évaluant les progrès accomplis depuis l’Accord de Paris. Il s’agit maintenant de déterminer comment ces résultats guideront le prochain cycle d’ambition des États, par la révision des Contributions déterminées au niveau national (CDN), permettant aux États d’adapter leurs objectifs en fonction des progrès réalisés à l’échelle mondiale.
G.L – Vous avez évoqué précédemment l’héritage. Quels accomplissements spécifiques et avantages durables pourraient, selon vous, découler de la COP28 ?
T.M.T – La COP 28 a représenté un moment crucial dans l’histoire des négociations climatiques, en raison de sa tenue dans un pays producteur de combustibles fossiles. Malgré des désaccords sur les formulations précises, un consensus émergeant a mis en avant l’impératif d’une transition énergétique loin des énergies fossiles. Cette évolution a revêtu une importance symbolique particulière, témoignant d’un engagement, bien que modéré, en faveur de politiques énergétiques plus durables.
La COP 28 a aussi été le cadre de développements significatifs concernant le Fonds pour les pertes et préjudices. Initialement abordée à Glasgow, cette question a pris une forme plus concrète à Dubaï avec la création et l’institutionnalisation du fonds. Celui-ci constitue une avancée significative dans la prise de conscience des conséquences irréversibles du changement climatique sur les pays vulnérables.
Une étape cruciale a été franchie avec l’instauration d’un cadre pour l’objectif mondial d’adaptation, en conformité avec les dispositions de l’Accord de Paris, qui stipule que l’objectif d’adaptation doit être abordé avec la même importance que l’atténuation. Ce cadre, intitulé UAE Framework, détaille les stratégies par lesquelles les pays peuvent renforcer leur résilience et s’adapter aux changements climatiques. Bien que de nombreux défis restent à relever, cet accord représente un pas en avant dans la formalisation des efforts d’adaptation.
La COP 28 a également souligné la convergence des agendas des trois conventions de Rio, portant sur la désertification, la biodiversité et le climat. Cette intégration s’est particulièrement manifestée par l’adoption d’une déclaration tripartite, visant à renforcer les synergies entre les actions en faveur de la nature, des populations et du climat. Cette déclaration, issue du programme de la présidence et non de l’agenda officiel des négociations, visait à harmoniser de manière concrète les politiques et les plans d’action relevant de chaque convention, soulignant une approche plus holistique et interconnectée des crises environnementales mondiales.
G.L – Le rythme classique de la gouvernance climatique internationale se constitue des COP mais également de rencontres de mi-parcours qui se déroule chaque année à Bonn, au Secrétariat de la CCNUCC. Pouvez-vous rappeler quels sont les objectifs de ces séances ? Quels sont les facteurs différenciant les rencontres de Bonn des COP ? Pourquoi ces rencontres sont-elles moins suivies que les COP ? Comment ceci influence les dynamiques de négociations ?
T.M.T – COP jouent un rôle essentiel dans le cadre de la gouvernance climatique mondiale. Ces réunions, généralement organisées en fin d’année, traitent d’une grande variété de sujets qui requièrent un consensus et des négociations. Les COP se distinguent par leur participation de haut niveau, impliquant des ministres, des présidents et d’autres personnalités éminentes. Elles jouent également un rôle essentiel en tant que principale plateforme de communication, établissant le récit annuel sur le climat. Malgré leur envergure, ces réunions exigent une préparation minutieuse qui se déroule lors des sessions intermédiaires, telles que celles de Bonn. Ces sessions revêtent une importance cruciale, car elles permettent d’examiner en détail les aspects techniques des négociations, préparant le terrain pour les décisions finales prises lors des COP. À Bonn, le travail est donc moins médiatisé, car il est plus technique, impliquant des négociateurs qui peaufinent les textes de décision. Chaque année, les rapports provenant de ces conférences semblent indiquer un progrès insatisfaisant, mettant en lumière des négociations souvent entravées par des désaccords entre les nations. Sans ces efforts approfondis, les décisions prises lors des COP risqueraient d’être trop vagues, manquant de la précision requise pour une mise en œuvre efficace.
Aussi, même si elles sont moins médiatisées, elles permettent cependant une participation active de divers acteurs non étatiques, par exemple des ONG, des groupes industriels ou encore des représentants des peuples autochtones. Ces intervenants, également actifs lors des COP, organisent et prennent part à des événements parallèles à la fois à Bonn et lors des COP. Étant plus petites, les réunions de Bonn offrent une atmosphère potentiellement moins intense et plus propice au réseautage, au plaidoyer et au lobbyisme et à la diplomatie de couloir.
Chaque année, la Conférence de Bonn prend de l’ampleur, comme en témoigne la multiplication des événements mandatés que la CCNUCC doit organiser. Les ressources allouées au Secrétariat de la CCNUCC ne sont néanmoins pas en adéquation avec les missions à accomplir, ce qui engendre des tensions opérationnelles. L’annulation des Climate Weeks, pour raisons financières, qui représentent des moments clés d’interaction avec la société civile et les acteurs locaux dans diverses régions, renforce l’importance des réunions à Bonn en tant que préparation essentielle pour les futures COP.
G.L – Les réunions intermédiaires de Bonn ont eu lieu du 3 au 13 juin 2024. Quelles étaient les attentes spécifiques pour la session 2024 des conférences de Bonn et quels étaient les principaux obstacles anticipés lors de ces rencontres ?
T.M.T – La COP 28 a mis l’accent sur le Bilan mondial, tandis que la COP 29 est perçue comme la COP du financement. Les récentes conférences, y compris les réunions intermédiaires de Bonn, ont mis en lumière le financement comme principal point de blocage. Les discussions commencent par des aspects techniques pour finalement converger invariablement vers la question financière : qui assumera les coûts et de quelle manière le financement sera-t-il assuré ? Au centre des débats à Bonn cette année se trouvait le Nouvel Objectif Collectif Quantifié (NCQG) pour le financement climatique, qui occupera également une place prépondérante lors de la COP 29. Le domaine du financement influence tous les autres sujets abordés lors des négociations, qu’il s’agisse d’adaptation, d’atténuation, de transition juste ou de pertes et dommages. La complexité de l’établissement d’un nouvel objectif financier est accentuée par le constat que l’objectif antérieur de 100 milliards de dollars par an en 2020, adopté en 2009, n’a été atteint qu’en 2022, comme indiqué par l’OCDE ou encore l’absence de définition de ce qu’est la finance climatique.
Les pourparlers à Bonn ont débuté de manière prometteuse avec la présentation d’un document introductif de soixante pages. Les tensions habituelles ont toutefois rapidement resurgi. Les nations développées font valoir que les pays en voie de développement économiquement avancés devraient participer au financement climatique, dépassant la séparation stricte induite par le système d’annexe. Des propositions recommandent que les contributions soient ajustées en fonction non seulement du contexte économique d’un pays, mais aussi de ses émissions historiques et actuelles. La Suisse suggère ainsi que dans le cas où le pays disposerait d’un programme spatial, il devrait participer au financement.
Les pays en voie de développement insistent sur la nécessité pour les pays développés de prendre l’initiative en demandant un objectif de financement plus détaillé, comprenant des sous-objectifs spécifiques définissant les types, les seuils et les sources de financement. Malgré une réduction de la taille du document initial lors des discussions à Bonn, aucun accord final n’a été conclu. Les questions non résolues à Bonn seront reportées à la COP 29 et celles qui demeurent en suspens lors de la COP seront vraisemblablement renvoyées au cycle suivant, à moins d’être retirées de l’ordre du jour.
G.L – En dehors de cet aspect financier, pourriez-vous préciser quels étaient les autres points à l’ordre du jour lors des récentes réunions à Bonn ?
T.M.T – À part les discussions financières prédominantes, les rencontres de Bonn ont abordé plusieurs autres sujets techniques et complexes. Parmi eux, l’article 6 sur les crédits carbone a été un point central des débats. Ce débat tourne autour des modalités de comptabilité des crédits carbone échangés entre pays, notamment la question de « l’ajustement correspondant ». Ce mécanisme stipule que si un pays vend un crédit, ce dernier ne peut plus être compté dans son bilan carbone. Certains pays en développement, comme la Chine, le Brésil et le Groupe africain de négociateurs, ont proposé que ces autorisations de transfert de crédit soient réversibles, un plan de secours en cas de non-respect des objectifs climatiques futurs. Cela crée aussi de la tension. Les discussions sur les émissions évitées et les crédits se sont également poursuivies sans qu’une décision ferme ne soit prise à Bonn, repoussant la résolution à des sessions ultérieures.
En ce qui concerne les pertes et dommages, bien que des discussions aient eu lieu, la question dominante a de nouveau été celle du financement. Les pays développés ont soutenu que ce sujet ne relève pas du mandat du NCQG, nécessitant donc un fonds distinct, ce qui soulève des questions sur les sources de financement spécifiques.
Concernant l’adaptation, après l’adoption du cadre de l’Objectif mondial d’adaptation à Dubaï, l’étape suivante consistait à travailler sur les indicateurs pour mesurer les progrès dans ce domaine. Un programme de travail se poursuivra jusqu’à la COP 30 à Belém, avec des divergences notables entre les pays développés, qui préconisent l’utilisation de structures et d’indicateurs existants alors que le G77 appelle à la création d’un nouveau groupe d’experts dédié à cette tâche. Un autre sujet majeur à aborder lors de la prochaine COP concerne les rapports de transparence. Jusqu’à présent, seuls deux pays ont soumis leurs rapports, bien que l’idéal serait une participation universelle pour faire la transition vers un système de transparence renforcée, tel que stipulé dans l’Accord de Paris. Ce processus soulève des questions relatives à la disponibilité des données, à leur granularité et à la manière d’harmoniser les informations partagées entre différents pays.
G.L – Après la conclusion des rencontres de Bonn, quelles sont les prochaines étapes que la communauté internationale doit envisager avant la COP29 en novembre ?
T.M.T – Dans le contexte actuel, marqué par l’absence des Climate Weeks, la prochaine grande étape pour la communauté internationale sera la COP biodiversité prévue en octobre en Colombie. Cette conférence se focalisera sur la convergence des agendas et l’alignement des CDN avec les plans nationaux sur la nature et la biodiversité. Cette réunion pourrait également accentuer les polarisations entre différents pays. En novembre, un mois plus tard, la COP climatique aura lieu à Bakou, suivie en décembre par la COP sur la désertification en Arabie saoudite.
Dans l’intervalle, les États vont probablement renforcer leurs positions ou engager des actions de lobbying. Des événements comme le G7 offriront des occasions supplémentaires pour les prises de position. La présidence azerbaïdjanaise de la COP climatique est parallèlement motivée à travailler sur la convergence des agendas entre les présidences des COP 28 et 30, soit les EAU et le Brésil, notamment sur les enjeux de financement et les questions relatives à l’article 6. Pour la présidence, les mois à venir seront cruciaux pour plaider en faveur de ses priorités et tenter de concilier les différents groupes polarisés. Quant aux acteurs non étatiques, ils continueront de participer aux consultations, de répondre aux appels à contributions via le portail de soumission de la CCNUCC et de diffuser leur plaidoyer.
G.L – Quelles sont vos attentes pour la COP 29 ?
T.M.T – Dans le cadre de notre rôle d’observateur au sein des processus internationaux sur le climat, notre organisation maintient une position de neutralité tout en continuant de plaider pour une reconnaissance accrue du rôle des acteurs non étatiques, notamment des gouvernements locaux, des entreprises et de la société civile. À l’approche de la prochaine COP et au-delà, soulignant l’importance d’une plus grande intégration de l’action climatique locale menée par les villes, notamment dans les CDN. C’est aussi une volonté manifeste tant de la part de la présidence que des acteurs gouvernementaux locaux impliqués dans le processus de la CCNUCC. Notre événement parallèle à Bonn cette année a exploré comment le secteur privé peut contribuer positivement aux CDN. La CCNUCC, l’année dernière, a développé un cadre pour la reconnaissance et la redevabilité des acteurs non étatiques. La question clé demeure de savoir comment lier efficacement les objectifs des villes, des régions et des entreprises aux objectifs nationaux et transformer ces ambitions en actions concrètes, car la définition des objectifs n’est qu’un premier pas vers la réalisation effective de ces derniers.
G.L – En considération de l’évolution du processus politique des COP depuis leur création et anticipant de futures transformations, quelle serait selon vous la trajectoire idéale pour une COP réussie ? Comment envisagez-vous l’amélioration des processus actuels des COP pour optimiser leur efficacité et leur impact ?
T.M.T – Les COP ont élargi leur portée, tant en termes d’agenda qu’en termes d’acteurs ou de rencontres. Cette diversification est bénéfique, car elle garantit l’inclusion de multiples perspectives et intérêts. Pour que les COP soient efficaces, il est néanmoins crucial que les décisions soient prises rapidement. L’expansion des COP ne devrait pas ralentir le processus décisionnel, même si l’événement lui-même devient plus large et englobant.
L’accessibilité équitable aux événements, dépendant des pays hôtes, des circonstances internationales – par exemple le COVID lors de la COP26 à Glasgow – des prix ou de la facilité à obtenir son visa, reste donc une question ouverte et critique pour l’avenir des COP. Ces différents cadres influencent significativement l’atmosphère des négociations et facilitent, ou limitent, les échanges informels essentiels à la progression des discussions et interrogent sur l’équitable participation de tous.
Enfin, un dernier point concerne la nécessité de faire converger les trois grands agendas des COP. Jusqu’à présent, les discussions ont souvent été dominées par l’atténuation, laissant un peu de côté l’adaptation. En se concentrant sur l’adaptation, on peut non seulement répondre aux besoins spécifiques de chaque agenda, mais également réaliser des co-bénéfices significatifs pour le climat, la biodiversité et la prévention de la désertification.
[1] Le bilan mondial est un processus établi dans le cadre de l’Accord de Paris pour évaluer les progrès collectifs vers la réalisation de ses objectifs climatiques à long terme. Tenu tous les cinq ans, il évalue les efforts mondiaux en matière d’atténuation, d’adaptation et de moyens de mise en œuvre et de soutien. Le bilan vise à informer et à renforcer les actions nationales et la coopération internationale en matière de changement climatique.