Les progrès de l’Objectif mondial d’adaptation : Le chemin long et difficile vers un cadre flou
[décembre 2023] L'Accord de Paris a établi un Objectif mondial d'adaptation (OMA) visant à placer l'adaptation au changement climatique au même niveau que l'atténuation - en développant un objectif d'adaptation, parallèle à l'objectif de 1,5 °C. Quels progrès depuis lors, jusqu'à l'adoption du cadre de l'OMA à la COP28 ?
Note de l’Observatoire mondial de l’action climat
- Auteur : Tania Martha Thomas, chargée de recherche à l’Observatoire
- Date : Décembre 2023
- Sommaire
- Définir l’adaptation
- Un déficit d’adaptation croissant
- Le chemin parcouru : Paris, Glasgow, Sharm el-Sheikh, Dubaï…
- … et au-delà ?
L’Accord de Paris de 2015 a établi un « Objectif mondial d’adaptation » (OMA), qui vise à placer l’adaptation au changement climatique au même niveau que l’atténuation, en développant un objectif d’adaptation parallèle à l’objectif d’atténuation visant à limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. L’OMA vise à créer un cadre mondial, avec des objectifs précis, pour guider les mesures d’adaptation dans le monde entier. Toutefois, en l’absence d’un référentiel quantifiable et universelle, l’adaptation est beaucoup plus complexe à mesurer et à mettre en œuvre que l’atténuation, axée autour de l’indicateur universel de la tonne CO2. Les progrès dans l’élaboration de l’OMA ont également été relativement lents, plombés en outre par la question omniprésente du financement, jusqu’à l’adoption d’un cadre encore vague lors de la COP28.
Définir l’adaptation
La principale difficulté pour amener les différents pays signataires de l’Accord de Paris à aligner leurs points de vue sur l’OMA provient de la définition de l’adaptation et de la manière dont elle se traduit en actions sur le terrain. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) définit l’adaptation dans les systèmes humains comme « […] le processus d’ajustement au climat réel ou prévu et à ses effets, afin de modérer les dommages ou d’exploiter les opportunités bénéfiques. » La CCNUCC, sur son site web, définit l’adaptation comme « des changements dans les processus, les pratiques et les structures afin d’atténuer les dommages potentiels ou de profiter des opportunités associées au changement climatique ».
Le processus d’adaptation est donc extrêmement contextuel et enraciné localement, et ce qui constitue de l’adaptation pour une communauté, une ville, une région ou un pays donné dépend de ses caractéristiques climatiques, géographiques, socio-économiques et même politiques. Elle change également de dimension en fonction des horizons temporels et des types de réponses (technologiques, institutionnelles, comportementales et culturelles, fondées sur la nature). Elle peut aller de la construction de défenses contre les inondations ou de solutions au stress thermique, à des systèmes d’alerte précoce pour les conditions météorologiques extrêmes, à des cultures résistantes à la sécheresse, en passant par le remaniement des opérations économiques ou gouvernementales. En résumé, il n’existe pas de solution unique qui convienne à tout le monde.
Proposé par le groupe de négociateurs africains en 2013, l’Objectif mondial d’adaptation a été formalisé dans l’article 7.1 de l’Accord de Paris, dans le but « d‘améliorer la capacité d’adaptation, de renforcer la résilience et de réduire la vulnérabilité au changement climatique ».
Le cadre d’adaptation de Cancun adopté lors de la COP16 en 2010, a établi le comité d’adaptation, ainsi que le processus des plans nationaux d’adaptation, dans le cadre duquel les parties sont encouragées à adopter et à renouveler leurs plans nationaux d’adaptation. L’accord de Paris a ensuite établi les communications d’adaptation qui doivent être soumises par les États sur les priorités et les progrès de leurs actions d’adaptation. Selon le rapport 2023 sur le déficit d’adaptation, cinq sur six de toutes les Parties à la CCNUCC ont mis en place au moins un plan, une politique ou une stratégie d’adaptation au niveau national.
Un déficit d’adaptation croissant
Alors que l’atténuation du changement climatique implique de réduire la hausse des températures et les effets qui en découlent, l’adaptation implique d’être résilient face aux changements actuels et attendus, ainsi qu’aux événements météorologiques extrêmes. Après une crise naturelle, tout ce qui est irrémédiablement détruit est classé comme perte et dommage – d’où l’importance de l’adaptation. Dans son sixième cycle de rapports, le GIEC a identifié 3,6 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, qui sont très vulnérables aux effets du changement climatique. Ce nombre augmentera à mesure que les températures continueront d’augmenter. Pourtant, le rapport 2023 du PNUE sur le déficit d’adaptation montre que la mise en œuvre des plans d’adaptation stagne dans les pays en développement. Les actions d’adaptation soutenues par les quatre principaux fonds climatiques internationaux ont diminué en nombre, tout en augmentant en valeur en raison de la présence de projets plus importants. Dans le même temps, le déficit de financement de l’adaptation, c’est-à-dire la différence entre les flux financiers actuels et les besoins en matière d’adaptation, se situe entre 194 et 366 milliards de dollars par an. Les besoins financiers pour l’adaptation sont 10 à 18 fois supérieurs aux flux financiers publics internationaux actuels pour l’adaptation, soit au moins 50 % de plus que les estimations précédentes.
Le rapport de l’OCDE sur le financement climatique fourni et mobilisé de 2013 à 2021, qui vise à suivre les progrès vers l’objectif de financement climatique de 100 milliards de dollars, a montré qu’en 2021, le financement mobilisé par les pays développés pour les pays en développement a atteint 89,6 milliards de dollars, soit une augmentation de 7,6 % par rapport à l’année précédente. Toutefois, le financement de l’adaptation a diminué de 14 % (4 milliards de dollars), résultant en une part de 27 % de l’adaptation dans les flux de financement climatique en 2021. Alors qu’à la COP26, le texte de l’accord final « exhortait » les pays à doubler les flux de financement de l’adaptation d’ici 2025, les tendances actuelles jusqu’en 2021 semblent rendre cet objectif irréaliste sans un important accroissement des chiffres.
Selon Climate Policy Initiative, les flux de financement climatique ont atteint 1,3 milliard de dollars en 2021-22, soit un doublement par rapport aux niveaux de 2019-20, bien que ce soit principalement dû à une accélération du financement de l’atténuation. Le financement pour l’adaptation en 2021-22, selon les chiffres de CPI, a atteint un niveau record de 63 milliards de dollars, en hausse de 28 % par rapport à 2019-20, bien qu’il représente désormais moins de 5 % du total du financement pour le climat (7 % en 2019-20).
Le Fonds d’adaptation, créé en 2001 et qui approuve des financements depuis 2009, a reçu un montant cumulé de 1,3 milliard de dollars de contributions de la part de 26 pays au 9 décembre 2023, à mi-chemin de la COP.
La question du financement de l’adaptation est en effet le deuxième facteur qui a ralenti les négociations sur l’OMA lors des négociations précédentes – les pays en développement ont fait pression pour que l’OMA comprenne un élément financier, bien qu’il ne soit pas techniquement requis pour un tel cadre.
Le chemin parcouru : Paris, Glasgow, Sharm el-Sheikh, Dubaï…
Bien qu’établi avec l’Accord de Paris en 2015, l’OMA a fait l’objet de peu de négociations onusiennes jusqu’en 2021. C’est en effet lors de la COP26, une nouvelle fois à l’initiative du Groupe africain que le programme de travail de Glasgow-Sharm el-Sheikh sur l’OMA a été lancé, d’une durée de deux ans. L’objectif de ce programme, mis en œuvre par les organes subsidiaires de la CCNUCC (SBI et SBSTA), était de « mieux comprendre, conceptualiser et, en fin de compte, atteindre » la résilience aux impacts climatiques. Le programme de travail devait permettre de renforcer le soutien et l’action en matière d’adaptation et de mesurer les progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif lui-même (qui, à l’époque, ne disposait même pas d’un cadre) dans le cadre du Bilan global de l’Accord de Paris (Global Stocktake).
Le rapport 2023 du programme de travail résume les discussions des ateliers organisés durant ces deux ans, y compris les propositions d’objectifs globaux et d’objectifs spécifiques sur l’évaluation des impacts, des vulnérabilités et des risques, la planification de l’adaptation, la mise en œuvre de l’adaptation, le suivi, l’évaluation et les enseignements tirés. Le rapport contenait également des recommandations concernant les thèmes à prendre en compte dans le cadre de l’OMA, les indicateurs qui aideraient à rendre le cadre opérationnel, le rôle des parties prenantes et les moyens de mise en œuvre. Ce rapport a directement alimenté les négociations de la COP28 à Dubaï et le premier Bilan global.
À Dubaï, les discussions sur l’adaptation ont été reléguées au second plan, éclipsées par le débat suscité par l’abandon progressif des combustibles fossiles et par l’attention croissante accordée aux pertes et dommages. Les projets de textes sur l’adaptation et l’OMA ne sont apparus que bien après le début de la conférence, et les négociations sont restées bloquées sur des questions de procédure jusqu’au dernier moment. Outre la question des flux financiers Nord-Sud et l’inclusion d’un objectif financier dans le cadre de l’OMA, la responsabilité historique des pays développés a constitué un autre point de friction.
L’accord final adopté cette année contenait des éléments beaucoup plus « faibles », tant sur le plan financier que sur celui des responsabilités communes mais différenciées des pays. Les pays s’étaient finalement mis d’accord sur les thèmes à couvrir par l’objectif – eau, alimentation, santé, écosystèmes, infrastructures, éradication de la pauvreté et patrimoine culturel – mais ceux-ci n’apparaissent pas dans le texte final. Bien que la décision de Dubaï définisse enfin le cadre de l’OMA (c’est-à-dire une approche structurée des objectifs que les pays tenteront d’atteindre), elle reste dans le domaine des « lignes directrices », utilisant des termes vagues tels que « atteindre la résilience » et « réduire les impacts » et laissant le choix aux États, tout en évitant les objectifs spécifiques.
Parmi les points convenus dans le cadre, les Parties doivent mettre en place :
- des évaluations de l’impact, de la vulnérabilité et des risques en 2030
- des systèmes d’alerte précoce multirisques en 2027
- des services d’information climatique pour la réduction des risques et l’observation systématique en 2027
- des plans d’adaptation nationaux pilotés par les pays, sensibles à la dimension de genre, participatifs et transparents, en 2030
Carbon Brief note les critiques de la décision finale, comprenant le désir de choix national sur les actions, mais déplorant le manque d’un cadre actionnable et mesurable, sans aucun objectif quantifiable.
… et au-delà ?
Contrairement à ce qu’espéraient de nombreux pays en développement, les Parties n’ont pas établi de point spécifique à l’ordre du jour pour poursuivre les discussions sur l’OMA. La décision finale sur les sujets liées à l’adaptation a toutefois établi un nouveau programme de travail de deux ans pour élaborer des indicateurs permettant de mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de l’OMA adoptés à la COP28. Le Comité d’adaptation, créé en 2010 en vertu du cadre d’adaptation de Cancún, doit soutenir la mise en œuvre de l’orientation générale en fournissant des conseils techniques et des formations, tout en élaborant des recommandations visant à améliorer les rapports. Dans le même temps, la décision affirme également qu’aucune charge supplémentaire en matière de communication n’est imposée aux Parties, qui sont invitées à inclure volontairement des informations quantitatives et qualitatives sur leurs progrès en matière d’adaptation dans d’autres exigences en matière de communication au titre de l’Accord de Paris.