La résilience de l’eau et l’adaptation au climat dans les villes européennes

[juillet 2024] Comment les questions liées à l'eau, dans toutes ses dimensions, sont-elles prises en compte dans la planification urbaine ? Quelle place pour les solutions fondées sur la nature ? Cette note présente les enjeux et les solutions en cours de déploiement.

Auteur : Joffrey Lapilus, chargé de mission eau & climat, Partenariat français pour l’eau (PFE)

Date : juillet 2024

Sommaire :

  • Renforcer la résilience des villes face aux risques majeurs lies a l’eau
  • Favoriser l’accès équitable aux services d’eau et d’assainissement urbains
  • L’eau en ville : un potentiel d’atténuation
  • Gouvernance et implication citoyenne, clés de la lutte contre le changement climatique en ville
  • Quelques recommandations portées par les acteurs français de l’eau pour relever ces défis
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A propos du PFE

Le Partenariat Français pour l’Eau est la plateforme de référence des acteurs français de l’eau publics et privés actifs à l’international.

Ses 200 membres se répartissent en 6 collèges représentatifs du paysage de l’eau français : État et établissements publics, ONG, associations et fondations, collectivités territoriales et parlementaires, acteurs économiques, instituts de recherche de formation ainsi que des personnalités qualifiées. Il porte depuis plus de 15 ans un plaidoyer au niveau international pour que l’eau constitue une priorité dans les politiques du développement durable et valorise les savoir-faire français.

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Note d’analyse de l’Observatoire mondial de l’action climat

D’ici 2070, près de 60% de la population mondiale vivra en ville selon les Nations unies[1]. Ce phénomène d’urbanisation, relativement équilibré entre grandes, moyennes et petites villes, va s’accroitre essentiellement dans les pays en développement et émergents, les pays du Nord ayant déjà effectué leur transition urbaine.

Néanmoins, en Europe comme ailleurs, les pressions sur les ressources en eau ainsi que les risques sanitaires liés à l’eau sont importants dans ces territoires urbains denses, et exacerbés par le changement climatique. L’atteinte de l’ODD 11 (Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables) nécessite donc une prise en compte obligatoire de l’eau dans ses différentes dimensions.

Le GIEC note que les effets des risques combinés du réchauffement et des précipitations sont devenus plus fréquents. Il identifie quatre risques majeurs pour le continent : la mortalité, la morbidité et les changements dans les écosystèmes dus à la chaleur ; le stress dû à la chaleur et à la sécheresse sur les cultures ; la pénurie d’eau ; les inondations et l’élévation du niveau de la mer.[2]

Dans ce contexte, les cadres de négociations internationaux tels que l’Accord de Paris sur le climat et l’Agenda 2030 fixent des objectifs ambitieux pour l’accès équitable et universel aux services d’eau et d’assainissement ainsi que la gestion des risques majeurs liés à l’eau dans les villes. Si de nombreuses villes ont déjà adopté des stratégies d’adaptation et d’atténuation, leurs décideurs doivent continuer à prendre des mesures concrètes pour relever les défis liés à l’eau auxquels ils sont confrontés.

Renforcer la résilience des villes face aux risques majeurs liés à l’eau 

En raison de leur morphologie, de la densité de leur population et de leurs infrastructures, les villes sont par ailleurs particulièrement vulnérables aux risques climatiques liés à l’eau (inondations, sécheresses, montée du niveau des mers, ouragans…). En Europe, les terres artificialisées ou imperméabilisées ont augmenté de 6 % depuis 2000, tandis que plus d’un quart des zones urbaines ont enregistré une augmentation de plus de 10 % de la population vivant dans les zones inondables entre 2011 et 2021[3]. À cela s’ajoute la répartition inégale de ces risques entre les différents groupes socio-économiques, ce qui accentue la vulnérabilité de certaines populations[4].

Dans ce contexte, il est nécessaire de repenser l’aménagement urbain et la planification pour réduire les vulnérabilités des villes en replaçant la réflexion sur le développement de l’urbanisation par rapport à l’occupation de leur bassin versant (banlieue, milieux ruraux et naturels amont) et ses règles internes de construction. La croissance démographique très forte de certaines zones appelle à une intégration du développement informel dans le tissu urbain. Dans le cas des inondations, par exemple, plusieurs pays européens (Slovaquie, Irlande, Pologne…) ont mis en place des plans municipaux d’inondation dans le cadre de la directive européenne sur les inondations[5], qui souligne l’importance de l’intégration de l’aménagement territorial et de l’utilisation des sols dans la gestion des risques d’inondation. Par ailleurs, les Plans urbains Climat-Energie doivent impérativement intégrer un chapitre Eau ce qui n’est généralement pas le cas aujourd’hui.

Le développement de « villes éponges » dans lesquelles l’absorption et l’écoulement des eaux pluviales est favorisé grâce à la désimperméabilisation, un bon équilibre entre infrastructures grises et Solutions fondées sur la Nature (SfN), le développement de nouveaux espaces verts et de toitures végétalisées ainsi que d’autres aménagements réalisés au niveau de la parcelle permettant de limiter ou ralentir les écoulements lors des épisodes pluvieux, sont à encourager. Ces infrastructures vertes engendrent aussi des co-bénéfices pour la qualité de vie en ville, par exemple la lutte contre les îlots de chaleur.

Une étude de l’AEE réalisée en 2024 a montré que 91 % des plans d’action locaux pour le climat en Europe prévoient des solutions fondées sur la nature, notamment le maintien, le reboisement ou la plantation de végétation pour réduire la chaleur et réguler l’eau. Les « options bleues » sont également en hausse, impliquant la création ou la restauration d’infrastructures bleues telles que les bassins de rétention, les zones tampons aquatiques, le drainage urbain, etc. ainsi qu’une meilleure gestion des zones naturelles et semi-naturelles telles que les zones humides et les plaines d’inondation. C’est le cas de villes comme Copenhague, Gothembourg, Oslo, Budapest [6] ou même de plus petites villes comme Eupen. Au niveau mondial, une analyse de 582 études empiriques a montré que les systèmes urbains de drainage durables étaient les SfN les plus importants. Les résultats montrent également que la gouvernance, la politique et la planification urbaines, les infrastructures urbaines « bleu-vert », la sylviculture, les ressources et la gestion de l’eau, l’aménagement du territoire et la gestion des catastrophes sont les secteurs clés qui peuvent planifier et mettre en œuvre efficacement les SfN[7].

Favoriser l’accès équitable aux services d’eau et d’assainissement urbains

Dans un contexte d’urbanisation rapide où les ressources en eau se trouvent de plus en plus en péril, garantir l’accès équitable et abordable à l’eau et aux services associés devient essentiel.

Il convient d’être attentif au renforcement des services fournis aux populations qui en sont démunies conformément à l’ODD11, mais aussi à la robustesse de services menacées par des désordres climatiques (sécheresses, dégradation de la qualité des eaux, salinisation des eaux en zones littorales), particulièrement pour les populations les plus défavorisées (systèmes d’habitats informels de nombreuses villes et milieu rural) qui seront particulièrement sensibles aux risques de rupture des services et notamment d’approvisionnement en eau saine.

De nombreuses solutions pour réduire les consommations d’eau (renforcement de l’efficience des services, en particulier réduction des fuites dans les réseaux, sensibilisation des usagers, etc.) ou pour augmenter les quantités d’eau disponibles (récupération des eaux de pluie, réutilisation des eaux usées etc.) sont à disposition et peuvent être développées dans le cadre plus général d’une gestion intégrée au niveau du bassin pour une allocation durable des ressources et pour une protection des eaux de surface et souterraines.

Dans bien des contextes urbains, les investissements colossaux et des interrogations sur la pérennité de la ressource imposent de réfléchir en dehors du cadre traditionnel du réseau unique centralisé. Face à la diversité des zones d’habitat, formelles et non formelles, et en conservant les principes d’équité et péréquation à l’échelle de l’ensemble d’une agglomération, des alternatives, parfois émanant des populations elles-mêmes doivent être considérées afin d’améliorer l’accessibilité des services pour tous sur l’ensemble du territoire et notamment pour les foyers les plus modestes. C’est en particulier vrai dans les pays en développement, mais peut être envisagé dans certains contextes européens, nécessitant une législation souple et adaptative.

Tous les acteurs devront se mobiliser pour penser une ville « intelligente » et plus décentralisée, promouvant des synergies puissantes et efficaces entre les services urbains essentiels :  gestion de l’eau, de l’assainissement, des déchets et de l’énergie.

L’eau en ville : un potentiel d’atténuation

Comme le souligne la Déclaration de Liège, les enjeux de l’atténuation et de l’adaptation sont étroitement liés, et l’atténuation est plus importante que jamais pour rester dans les limites de l’adaptation possible. Dans l’optique du développement de villes au bilan carbone neutre, tous les opérateurs d’eau et d’assainissement peuvent mettre en place des actions très simples pour renforcer leur efficience énergétique, via par exemple la remise à niveau des équipements avec des systèmes plus performants.

Les logiques d’économie circulaire offrent également d’importantes opportunités, en particulier sur le plan des bénéfices financiers et humains. Le potentiel de valorisation des eaux usées urbaines (par exemple des nutriments transportés par les eaux usées, le carbone, l’azote et le phosphore) est une ressource encore trop peu exploitée. Avec la production d’énergie, l’assainissement dispose de réelles perspectives d’autonomie énergétique et de contribution effective à une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’un territoire.

Gouvernance et implication citoyenne, clés de la lutte contre le changement climatique en ville

La modification des comportements, la participation et la formation de tous les acteurs clés et l’amélioration des cadres réglementaires (plans d’adaptation et d’atténuation urbains) élargis aux bassins versants et l’acceptabilité sociale sont des étapes centrales pour l’adaptation au changement climatique en ville. Cette ouverture et cette culture du dialogue ont pour corollaire le partage de l’information, l’engagement de transparence et la coopération internationale entre villes.

La mobilisation des ressources financières est un enjeu majeur dans l’action des villes contre le dérèglement climatique. Les autorités locales sont en partie responsables des investissements sociaux, économiques et environnementaux sur leur territoire : le renforcement de leur santé financière et de leur capacité de gestion doit donc accompagner la mobilisation de financements de long terme, qui s’appuieront sur le principe des 3T (taxes, tarifs, transferts).

Quelques recommandations portées par les acteurs français de l’eau pour relever ces défis

  1. Les autorités locales et régionales doivent devenir les moteurs de la gouvernance urbaine démocratique : Pour conduire des stratégies de développement territorial soutenables et cohérentes, notamment en termes de gestion des ressources et d’accès aux services de base, les autorités locales et régionales doivent être reconnues et renforcées. Une telle dynamique se traduit notamment par un transfert des compétences et des ressources, la création d’une fiscalité locale et la mise en place de cadres institutionnels propices aux démarches partenariales.
  2. La planification stratégique de la ville doit favoriser une meilleure intégration des services : Les acteurs français portent une vision du développement urbain fondée sur la recherche d’un équilibre entre les objectifs de ville productive, de ville inclusive et de préservation de l’environnement correspondant aux trois composantes du développement durable. Les territoires de demain s’appuieront de plus en plus sur des circuits courts, croisant ressources et besoins locaux. Des synergies existent entre services de l’eau, de l’assainissement, des déchets, de l’énergie qui peuvent être développées dans un cadre favorisant l’économie circulaire.
  3. Un changement d’échelle dans les financements d’infrastructures durables s’impose : La proportion de ménages fragiles ne cesse de croître dans l’espace urbain. Afin de garantir l’équité des services dans leur ensemble, les mécanismes de solidarité doivent être placés au cœur des politiques tarifaires. Plus globalement, financer ces services ne peut relever que des seuls usagers. Des financements additionnels (subventions, solidarité, plus-value foncière…) sont nécessaires pour financer les infrastructures. Par ailleurs, si les technologies existent pour délivrer des services environnementalement et socialement performants incluant la participation des différents usagers, leur financement doit passer d’une dynamique par projets à la mise en place de fonds structurels et pérennes.

Références

[i] UN Habitat (2022). World Cities Report 2022: Envisaging the Future of Cities. UN Habitat.

[ii] Pörtner, H.-O. et al. (2022). Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press.

[iii] EEA (2024). Urban adaptation in Europe: what works?. EEA Report 14/2023. European Environment Agency.

[iv] Beyler, P., Seigneurin, F. & Thomas, T.M. (2024). Résilience juste : Intégrer la justice sociale et le genre dans l’adaptation au changement climatique en Europe. Climate Chance.

[v] Directive 2007/60/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation.

[vi] EEA (2024). Urban adaptation in Europe…, op.cit.

[vii] Aghaloo, K. et al (2024). How nature-based solutions can enhance urban resilience to flooding and climate change and provide other co-benefits: A systematic review and taxonomy. Urban Forestry & Urban Greening, 95.