Le rôle des gouvernements sous-nationaux dans l’adaptation en Europe : Les enseignements de la nouvelle publication de l’Observatoire
[avril 2024] À partir de la nouvelle étude de l'Observatoire, cet article explique le cadre politique multiniveau pour l'adaptation au changement climatique en Europe. Il examine les rôles et les obligations des gouvernements régionaux et locaux en matière d'adaptation, ainsi que les progrès de l'action volontaire.
Les enseignements de l’étude « Planification et mise en œuvre de l’adaptation dans l’UE : Etat de l’intégration multiniveau des politiques d’adaptation »
Auteur: Tania Martha Thomas, chargée de recherche à l’Observatoire Climate Chance
Date: avril, 2024
Sommaire:
- La nature locale de l’adaptation au changement climatique
- La Stratégie européenne d’adaptation et son cadre politique
- La dynamique sous-nationale et les signaux d’action volontaire
- Le rôle des régions dans le financement
Cet article est basé sur une publication récente de l’Observatoire Climate Chance, « Planification et mise en œuvre de l’adaptation dans l’UE : L’état de l’intégration multiniveau des politiques d’adaptation ». Découvrez la publication ici.
La nature locale de l’adaptation au changement climatique
Alors que le monde se réchauffe déjà de 1,1 °C par rapport à la moyenne préindustrielle, l’Europe se réchauffe plus rapidement : l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) estime que les températures terrestres ont augmenté de plus de 2 °C[1]. Le GIEC[2] note que les effets des risques combinés du réchauffement et des précipitations sont devenus plus fréquents et identifie quatre risques clés pour le continent : la mortalité, la morbidité et les changements dans les écosystèmes dus à la chaleur ; le stress dû à la chaleur et à la sécheresse sur les cultures ; la pénurie d’eau ; et les inondations et l’élévation du niveau de la mer. Dans ce contexte, la nécessité d’adapter le continent aux effets du changement climatique est plus urgente que jamais.
L’adaptation, définie comme « le processus d’ajustement au climat réel ou prévu et à ses effets, afin d’atténuer les dommages ou d’exploiter les opportunités bénéfiques »,[3] est basée sur les risques et les vulnérabilités d’une zone donnée. Elle est ancrée localement ou « basée sur le lieu », en ce sens qu’elle dépend des caractéristiques climatiques, géographiques, socio-économiques et même politiques d’un lieu. Il n’existe pas non plus d’indicateur universel, contrairement à l’atténuation qui peut être mesurée en termes de tonnes d’émissions, car il n’y a pas de solution unique pour l’adaptation. Ainsi, il est important de planifier et de coordonner les politiques nationales d’adaptation avec les niveaux de gouvernance sous-nationaux et locaux.
La Stratégie européenne d’adaptation et son cadre politique
La Stratégie européenne d’adaptation actuelle[4] établit un cadre qui prend en compte les niveaux européen, national, régional et local, en s’appuyant sur les exigences incluses dans la loi européenne sur le climat de 2021[5] et le règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie et de l’action pour le climat de 2018[6]. L’interprétation de ces trois textes montre les rôles et obligations précis du niveau national, avec un cycle politique bien défini pour l’action climatique en général, et un cycle légèrement plus ambigu pour l’adaptation – où il n’y a pas d’objectifs ou de calendriers contraignants (figure 1).
Si la stratégie d’adaptation désigne les États membres comme les « principaux partenaires de mise en œuvre », elle appelle à une adaptation plus systémique, en donnant la priorité à l’action locale. La stratégie préconise une meilleure évaluation des risques et encourage les autorités nationales, régionales et locales à poursuivre l’élaboration de stratégies d’adaptation fondées sur les données scientifiques les plus récentes. La délégation aux niveaux sous-nationaux des rôles d’adaptation est presque entièrement du ressort des États membres, et donc très variable.
Seuls huit États membres (neuf avec l’entrée en vigueur de la loi allemande sur l’adaptation) ont une approche descendante, dite « top-down », de la politique d’adaptation, dans laquelle les niveaux de gouvernance inférieurs sont légalement tenus d’entreprendre une certaine forme de planification et d’action en matière d’adaptation. Dans les autres pays, l’adaptation sous-nationale est essentiellement ascendante (ou « bottom-up ») et repose sur l’action volontaire des autorités régionales et locales.
La dynamique sous-nationale et les signaux d’action volontaire
L’Agence européenne pour l’environnement note que ces formes souples et collaboratives de pilotage vertical, accompagnées d’une gouvernance de soutien à tous les niveaux, sont beaucoup plus courantes que les approches réglementaires descendantes[7]. Dans ce cas, le soutien des niveaux nationaux comprend des apports politiques, le renforcement des capacités, le financement et le soutien à la participation aux réseaux nationaux et internationaux de collectivités locales.
Les actions volontaires des collectivités locales et régionales sont très souvent menées dans le cadre des réseaux et des initiatives transnationaux, tels que la Convention des maires ou RegionsAdapt. Selon l’évaluation 2022 de la Convention européenne des maires réalisée par le Centre commun de recherche (CCR) de l’Union européenne[8], 4 044 signataires de l’UE-27 se sont engagés à s’adapter, dont 996 (24,6 %) ont présenté un plan d’adaptation complet. L’Espagne, l’Italie et la Belgique comptent le plus grand nombre de signataires de la convention engagés en faveur de l’adaptation, la Belgique ayant la plus grande part de population couverte par un engagement local d’adaptation (près de 100 %). Une étude parue en 2023 [9] réalisée entre 2005 et 2020, montre que 51 % d’entre elles ont mis en place un plan d’adaptation, bien que moins de la moitié d’entre elles soient soumises à une obligation légale. L’étude a également révélé que la qualité des plans s’est améliorée au fil du temps, en partie grâce aux échanges entre pairs et au partage des connaissances dans les réseaux.
La participation des régions européennes à la Mission Adaptation de l’UE est un signe fort de la dynamique volontaire : sur les 301 signataires de la Mission évalués en 2023, 66 % avaient réalisé une évaluation des risques, 80 % avaient mis en place une stratégie d’adaptation, 70 % disposaient d’une personne-ressource ou d’une équipe dédiée à l’adaptation et 66 % disposaient d’un budget régional dédié à l’adaptation[10].
Le rôle des régions dans le financement
Le niveau régional – bien que sa définition varie en fonction du niveau de décentralisation et de la structure fédérale des pays – est également essentiel au financement et à la mise en œuvre des politiques d’adaptation, comme l’a souligné l’Observatoire Climate Chance en 2022[11]. Alors que les États membres font état de difficultés à évaluer le coût de l’adaptation et à suivre les flux financiers consacrés à l’adaptation, ceux qui communiquent des éléments quantitatifs mentionnent qu’une grande partie de ces fonds provient de l’UE et que les instruments de financement de l’UE ont contribué à coordonner les politiques d’adaptation[12].
Il s’agit notamment de financements provenant d’une série d’instruments de l’UE tels que la facilité pour la relance et la résilience, le programme LIFE, Horizon Europe, la politique européenne de cohésion, le Fonds européen de développement régional, le Fonds de cohésion, le Fonds de transition juste et d’autres encore. 20 % des fonds devaient être consacrés à des projets d’atténuation ou d’adaptation entre 2014 et 2020, ce qui représente environ 78 milliards d’euros et près d’un tiers du Fonds européen de développement régional[13]. Le cadre financier pluriannuel 2021 – 2027 exige qu’au moins 25 % du budget européen soit consacré à des dépenses liées au climat. Cette structure des décaissements au niveau européen renforce donc le rôle important des régions dans l’orientation des flux financiers en faveur de l’adaptation[14].
L’adaptation dans les territoires européens : un enjeu au cœur du SCCE2024
Ainsi, l’action volontaire des niveaux sous-nationaux reste essentielle pour conduire l’adaptation au climat, en l’absence d’obligations nationales ou européennes. Si la planification progresse, la mise en œuvre des actions nécessite un renforcement des capacités territoriales et une meilleure coordination entre les différents niveaux de gouvernance. Le sommet Climate Chance Europe 2024 Wallonie (#SCCE) qui s’est tenu à Liège a rassemblé des acteurs du continent européen pour réfléchir à la manière dont les actions territoriales d’adaptation au climat peuvent être renforcées. Les résultats de ces discussions sont synthétisés ici. Ils ont été repris pour établir collectivement les messages de la Déclaration de Liège, une feuille de route pour les acteurs locaux et non étatiques en Europe en vue de l’adaptation au changement climatique.
Références
[1] EEA (29/06/2023). Global and European temperatures. European Environment Agency.
[2] Pörtner, H.-O. et al. (2022). Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press.
[3] Möller, V. et al (2022). Annex II: Glossary. In Pörtner, H.-O. et al. (2022). Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press.
[4] European Commission (2021). COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT, THE COUNCIL, THE EUROPEAN ECONOMIC AND SOCIAL COMMITTEE AND THE COMMITTEE OF THE REGIONS. Forging a climate-resilient Europe – the new EU Strategy on Adaptation to Climate Change. COM/2021/82 final.
[5] Regulation (EU) 2021/1119 of the European Parliament and of the Council of 30 June 2021 establishing the framework for achieving climate neutrality and amending Regulations (EC) No 401/2009 and (EU) 2018/1999 (‘European Climate Law’). [2021]. OJ L243.
[6] Regulation (EU) 2018/1999 of the European Parliament and of the Council of 11 December 2018 on the Governance of the Energy Union and Climate Action, amending Regulations (EC) No 663/2009 and (EC) No 715/2009 of the European Parliament and of the Council, Directives 94/22/EC, 98/70/EC, 2009/31/EC, 2009/73/EC, 2010/31/EU, 2012/27/EU and 2013/30/EU of the European Parliament and of the Council, Council Directives 2009/119/EC and (EU) 2015/652 and repealing Regulation (EU) No 525/2013 of the European Parliament and of the Council (Text with EEA relevance). [2018]. OJ L328.
[7] Leitner, M. et al. (2023). Is Europe on track towards climate resilience? – Status of reported national adaptation actions in 2023. Technical Paper 2/23. European Topic Centre on Climate change adaptation and LULUCF (ETC-CA).
[8] Melica, G. et al (2022). Covenant of Mayors: 2022 assessment. EUR 31291. Publications Office of the European Union.
[9] Reckien, D. et al. (2023). Quality of urban climate adaptation plans over time. npj Urban Sustainability vol. 3, 13.
[10] Directorate-Generak for Climate Action (02/2023). Analysis of information provided by the signatories of the charter of the Mission Adaptation to Climate Change. European Commission.
[11] Global Observatory of Climate Action (2022). European Regions Illustrate the Central Role of Local and Subnational Governments in a Just Transition Towards a Low-carbon Economy. Climate Chance.
[12] Leitner, M. et al. (2023). Is Europe on track…, op. cit.
[13] Dijkstra, L. (2017). My region, My Europe, Our future: The seventh report on economic, social and territorial cohesion. European Commission.
[14] Climate-ADAPT (n.d.). EU funding of adaptation. European Commission; European Environment Agency.