SB58 : De Sharm el-Sheikh à Dubaï, Bonn est à mi-chemin
[juillet 2023] Du 5 au 15 juin 2023, les délégués du monde entier se sont réunis lors de la Conférence de Bonn pour donner suite aux décisions de la COP27 et préparer la COP28. À l'ordre du jour : le bilan mondial de l’Accord de Paris, l'adaptation, les pertes et dommages, un nouvel objectif de financement du climat...
Note de l’Observatoire mondial de l’action climat
Cette note résume les discussions de la réunion SB58 à Bonn sur la base des rapports suivants :
- Earth Negotiations Bulletin (19/06/2023). Summary report, 5-15 June 2023: Bonn Climate Change Conference – June 2023. International Institute for Sustainable Development.
- Gabbatiss, J. & Lempriere, M. (16/06/2023). Bonn climate talks: Key outcomes from the June 2023 UN climate conference. Carbon Brief.
- Auteur : Clovis Grégoire, stagiaire de l’Observatoire mondial de l’action climat, Tania Martha Thomas, Chargée de Recherche de l’Observatoire mondial de l’action climat
- Date : Juillet 2023
- Sommaire
- Quels enjeux au départ ?
- Vers la conclusion du bilan mondial : quels progrès ?
- Adaptation : Quelques avancées malgré les blocages sur les financements
- Les pertes et dommages : une victoire durement acquise qui doit encore se concrétiser
- Les questions d’atténuation ne sont pas reléguées au second plan
- Les financements restent le nerf de la guerre
- Quels enjeux pour la COP28 ?
Quels enjeux au départ ?
Dans le sillage d’une COP27 à Sharm el-Sheikh marquée par des division Nord-Sud de plus en plus fortes, et avec beaucoup de discussions sur les pertes et dommages et la responsabilité historique ; à la lumière du dernier cycle de publications du GIEC, et à quelques mois de la COP28 à Dubaï où se tiendra le premier bilan mondial de l’Accord de Paris (GST), les enjeux étaient élevés pour la 58e réunion des organes subsidiaires (SB58)[1]. Cependant, l’absence d’accord sur les ordres du jour des réunions des organes subsidiaires, jusqu’à l’avant-dernier jour de la conférence, a pesé sur les négociations.
L’une des pommes de discorde concernant les ordres du jour était l’inclusion du programme de travail sur l’atténuation (Mitigation Work Programme). Établi lors de la COP26, les Parties avaient convenu de lancer dès la COP suivante à Sharm el-Sheikh les travaux de ce programme qui vise à « augmenter d’urgence » l’ambition et la mise en œuvre de l’atténuation au cours de cette décennie. Une autre était la demande du groupe de Like-minded Developing Countries (LMDCs)[2] d’inscrire à l’ordre du jour la question de l’augmentation des financements.
L’ordre du jour provisoire sur lequel s’est déroulée la conférence comprenait des questions relatives aux sujets grandement abordés à la dernière COP : l’adaptation, les pertes et dommages, les financements de la lutte contre le changement climatique; ainsi qu’une question fondamentale pour 2023 : le bilan mondial de l’Accord de Paris (Global Stocktake). En parallèle, les discussions ont également progressé sur les questions d’atténuation, telles que les transitions énergétiques justes et les marchés du carbone.
Cette année, plus que jamais, l’importance du rôle des flux financiers dans la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris a été mise en lumière, dans la mesure où presque tous les points de négociation se sont joués sur la question du financement.
Vers la conclusion du bilan mondial : quels progrès ?
Lors de la COP28, le premier bilan mondial aura lieu, permettant ainsi de voir où en est le monde, où il doit aller et comment y parvenir, si l’on veut lutter contre le changement climatique. Élément central de l’Accord de Paris, il est conçu pour orienter le prochain cycle d’engagements climatiques nationaux afin que les pays puissent réhausser leur ambition si nécessaire. Le premier dialogue technique (Technical Dialogue – TD) pour le bilan mondial a eu lieu lors des précédentes négociations de Bonn en juin 2022, le deuxième lors de la COP27 en Égypte en novembre 2022 et le troisième, et dernier avant la COP28, a eu lieu à la Conférence de Bonn 2023.
Les discussions sur le cadre à donner à la décision qui sera votée par les Parties sur le bilan mondial lors de la COP28 ont révélé des divergences sur l’adaptation, l’atténuation, les pertes et dommages, et les moyens de mise en œuvre, et les plus grands désaccords sur les flux financiers et la responsabilité historique des pays développés. La discussion s’est conclue par l’adoption de plusieurs options de texte pour les sections contestées, qui seront finalisées lors de la conférence des parties en décembre.
Un rapport de synthèse sur la troisième réunion du dialogue technique sur le bilan mondial sera présenté d’ici le 15 août 2023, et un rapport de synthèse factuel le 8 septembre 2023.
Adaptation : Quelques avancées malgré les blocages sur les financements
Les discussions sur l’adaptation abordées à Bonn tournaient autour de quatre objets de négociation, et ont mené aux conclusions suivantes :
- L’objectif mondial d’adaptation : L’Accord de Paris préconise un objectif mondial d’adaptation afin d’améliorer la capacité d’adaptation, de renforcer la résilience et de réduire la vulnérabilité au changement climatique. Alors qu’un programme de travail a été lancé à Glasgow pour une période de deux ans afin d’élaborer un cadre pour l’objectif, qui sera adopté lors de la COP28, les discussions ont été lentes et la conclusion convenue portait principalement sur la structure de l’objectif.
- Le Comité d’adaptation : Créé en 2010 dans le cadre du Cadre d’adaptation de Cancun, le Comité d’adaptation est l’un des principaux organes de la CCNUCC travaillant sur la question. Les discussions sur la revue du Comité d’Adaptation (CA) ont pris du retard, car les Parties n’étaient pas d’accord sur les éléments du projet de texte de conclusion, laissant ainsi les décisions à finaliser lors de la COP28.
- Le programme de travail de Nairobi : Établi lors de la COP11 à Nairobi, ce programme vise à « catalyser le développement et à faciliter la diffusion d’informations » pour soutenir les politiques et les pratiques d’adaptation, en particulier pour les pays en développement. Les discussions à Bonn cette année ont été axées sur les lacunes des connaissances et des efforts d’adaptation des pays. Ces discussions sont désormais closes jusqu’à la prochaine conférence de Bonn.
- Les plans nationaux d’adaptation : Les plans nationaux d’adaptation – établis lors de la COP16 afin d’identifier et de travailler sur les besoins d’adaptation à moyen et long terme – ont été inscrits à l’ordre du jour des discussions du SB58 et ont été adoptés sans problème, contrairement à ce qui s’est passé pour le programme de travail sur l’atténuation. Les discussions et consultations informelles se sont focalisées sur les difficultés de mise en œuvre de ces plans dans les pays en développement.
Au fil des discussions, le point sensible soulevé par la plupart des pays en développement a été la question du financement – les flux de financement climat destinés à l’adaptation n’ont pas encore atteint le même niveau que ceux destinés à l’atténuation.
Les pertes et dommages : une victoire durement acquise qui doit encore se concrétiser
La COP27 a vu la création tant attendue d’un fonds pour les pertes et dommages destiné à soutenir les victimes de catastrophes climatiques, ainsi que la formation d’un comité transitoire chargé de développer le fonds et d’autres dispositifs de financement pour soutenir les actions pertinentes. Ces créations ont été largement considérées comme une victoire pour les pays en développement.
Les discussions actuelles sont centrées sur les finances : d’où viendront-elles, comment seront-elles distribuées et qui en seront les bénéficiaires ? Alors que les pays développés souhaitent se concentrer sur des accords de financement en dehors du fonds lui-même (via des banques multilatérales, des régimes d’assurances, organisations humanitaires..), les pays en développement souhaitent que le fonds soit créé en tant qu’entité opérationnelle de la CCNUCC, financé par les contributions des pays développés, sous forme de subventions (plutôt que sous forme de prêts, remboursables par définition).
Parallèlement, le dialogue de Glasgow, établi lors de la COP26 comme compromis lorsqu’un fonds pour les pertes et dommages n’était pas garanti, s’est poursuivi lors de sa deuxième session à Bonn, avec pour mission d’informer le comité transitoire.
Le seul élément relatif aux pertes et dommages qui a fait l’objet de négociations formelles à Bonn était la question de l’emplacement du secrétariat du réseau de Santiago pour les pertes et dommages – les deux options proposées étaient au sein du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNDRR/UNOPS) à Nairobi, Kenya, et à la Banque de développement des Caraïbes (CDB), basée à la Barbade. Aucun consensus n’a été atteint, ce qui laisse une nouvelle décision à prendre lors de la COP28.
Les questions d’atténuation ne sont pas reléguées au second plan
Les désaccords sur le programme de travail en matière d’atténuation, mentionnés plus haut, et la « réduction progressive » (phase down) des combustibles fossiles – qui a été acceptée lors de la précédente COP après une réticence à inclure le terme « élimination progressive » (phase out) – ont fait l’objet d’intenses négociations.
Le lancement d’un « programme de travail sur les voies de transition juste » est un résultat notable de la COP27. À Bonn, il s’agissait notamment d’en définir le champ d’application et les résultats attendus. Le travail sur la transition juste a fini par tomber dans les mêmes arguments que ceux utilisés dans de nombreuses autres négociations – la nécessité d’augmenter les flux financiers, car le sevrage des énergies fossiles serait coûteux.
Les discussions autour des marchés du carbone dans le cadre de l’article 6 de l’Accord de Paris sont entrées dans « une phase profondément technique », selon Carbon Brief, les conclusions ayant porté sur des questions de procédure. Le contexte plus large a été marqué par des controverses mondiales sur les marchés volontaires du carbone au début de cette année, et la possibilité d’utiliser les marchés du carbone pour canaliser le financement climatique vers les pays en développement. Les sujets abordés comprenaient : le commerce des crédits, le droit potentiel d’un pays de révoquer les crédits qu’il a vendus, la manière dont les crédits d’élimination du carbone doivent être comptabilisés, et des crédits d’’évitement des émissions (qui ne sont actuellement pas inclus dans l’article 6). L’organe de surveillance de l’article 6.4 (Article 6.4 Supervisory Body), qui a été créé pour établir les règles d’un nouveau marché international du carbone, a également présenté ses recommandations sur divers sujets controversés.
Les financements restent le nerf de la guerre
Alors que les négociations de Bonn n’étaient pas, pour la plupart, directement et officiellement axées sur le financement, les questions d’argent ont été évoquées dans presque tous les aspects des pourparlers. Un nouvel « objectif collectif quantifié » pour le financement de la lutte contre le changement climatique post-2025, mandaté par l’Accord de Paris, doit être convenu avant la COP29 en 2024. Cet objectif doit aussi être plus élevé que l’objectif de 100 milliards de dollars pour 2020, qui lui-même n’a pas été atteint. Les discussions ont porté à la fois sur le quantum de cet objectif et sur la mobilisation de nouvelles sources de financement. Carbon Brief rapporte le sentiment général parmi les délégués que le manque de financement suffisant ralentit les progrès.
Quels enjeux pour la COP28 ?
Le premier bilan mondial sera indéniablement le dossier “chaud” de la COP28. La nomination décriée du sultan Al-Jaber, président de la compagnie pétrolière nationale des EAU, a de quoi surprendre. Pour autant, les interrogations et craintes légitimes qu’elles suscitent ne doivent pas éclipser l’agenda diplomatique qui suit son cours, COP après COP, indépendamment des présidences qui se succèdent. Davantage que la présidence émirati, la question de l’accès aux financements des pays du Sud et de la solidarité des pays du Nord s’affirme de plus en plus comme le principal obstacle aux négociations sur la plupart des dossiers.
NOTES
[1] Les deux organes subsidiaires de la CCNUCC – l’organe subsidiaire de mise en oeuvre (Subsidiary Body for Implementation, SBI) et l’organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (Subsidiary Body for Scientific and Technological Advice, SBSTA) – assistent les organes directeurs, comme la COP.
[2] Représentant plus de 50 % de la population mondiale, il s’agit d’un groupe de pays en développement qui constituent un bloc dans les négociations mondiales.